• * 09 - Au pied de la Croix du Christ (2)

    Au pied de la croix du Christ (2)

    Voici quelques réflexions à propos de cette fameuse scène de l'Évangile selon Jean : Jésus sur la Croix, s'adressant à sa mère et au disciple bien-aimé.

    Quelle signification donner à ce récit, si chargé d'émotions ?

    La familia dei (Jean 19,25-27)

    Dans un renversement de perspectives auquel cet Évangile nous a habitués, en Jean 19,25-27 Jésus trône sur une croix où il est inscrit en Hébreu, en latin et en grec : « Jésus le Nazoréen, le roi des Juifs ». En effet, aussi étrange que cela puisse sembler, dans le Quatrième Évangile, la croix n’est pas le lieu de l’abaissement et de l’humiliation, mais celui de l’élévation et de la glorification du Fils (cf. 3,14-15 ; 12,27-34). La croix n’est donc pas l’échec de la mission de Jésus, mais, ironiquement, le lieu de la proclamation de sa royauté. Alors qu’il semble dépouillé de tout, le roi divin règne sur l’ensemble du monde civilisé. Et de son trône, il garde l’initiative, le contrôle de la situation : il s’adresse aux siens et livre sa dernière volonté.

    Ici, les siens sont représentés par quatre femmes et le disciple bien-aimé. Dans notre Évangile comme dans les Synoptiques, des femmes sont présentes autour de Jésus en croix, même si leur liste diffère d’un Évangile à l’autre – Marie Madeleine étant la seule commune à toutes ces traditions. La particularité johannique est qu’elles apparaissent avant la mort de Jésus, et aux pieds de la croix, alors que les Synoptiques font mention d’elles après la mort de Jésus et à distance de la croix. Dans le Quatrième Évangile, ce sont ces différences qui vont permettre à Jésus de s’adresser souverainement aux siens, aux croyants, avant de rendre l’esprit.

     * Au pied de la Croix du Christ (2)

     

    Marie et Jean - Statues exposées au Musée des Beaux-Arts à Lille (Photo Odile Ghesquiere)

    De ce groupe de croyants, l’auteur se focalise sur deux figures importantes du récit : la mère de Jésus et le disciple bien-aimé. Ces appellations mettent bien sûr en évidence leur anonymat. En omettant de les nommer, c’est le lien de proximité les unissant à Jésus qui est ainsi mis en exergue : « mère », « bien-aimé ». C’est donc bien à ses proches, à ses intimes, que Jésus adresse son testament. Lui qui part vers son Père, lui qui sera désormais absent, ne les laisse pas dans le désarroi. Il prend soin d’eux jusqu’au bout, comme il l’a fait tout au long de son long discours d’adieu (chap. 13-17).

     * Au pied de la Croix du Christ (2)

    Jésus s’adresse à sa mère en ces termes : « Femme, voici ton fils ». Puis au disciple : « Voici ta mère » (v. 27). Jésus les confie donc l’un à l’autre. Mais quel est le sens de cette double déclaration ? Nous pourrions certainement comprendre cette scène, au premier degré, comme une marque d’affection et d’attention portée par Jésus sur sa mère, la plaçant sous la protection matérielle du disciple bien-aimé et pourvoyant ainsi à ses besoins de femme âgée (cf. Ex. 20,12). Mais s’arrêter là limiterait grandement l’intérêt et l’intention didactiques de cette scène. Car clairement, la relation mère/fils ainsi instaurée par Jésus ne se limite pas au droit de succession et à l’affection filiale. Bien davantage, nous proposons que l’annonce de Jésus fonde une nouvelle famille fictive, la familia dei, l’Église, dans laquelle le disciple bien-aimé est établi comme successeur de Jésus. Il devient ainsi le remplaçant humain du Fils, recevant métaphoriquement la responsabilité du Fils envers sa mère.

    Dans cette famille nouvellement constituée et qui perdurera après le départ du Fils, le disciple a donc un rôle spécifique à jouer. En lien avec le portrait qui en est fait tout au long de l’Évangile, c’est probablement celui de témoin exemplaire qui est ici souligné. Lui qui est présenté dans le récit comme l’intime de Jésus (reposant contre le sein de Jésus en 13,23) et comme le témoin oculaire privilégié des moments clefs de la passion (l’annonce de la trahison, l’interrogatoire chez Anne, la crucifixion, le tombeau vide…), est à même d’assurer la juste interprétation de la révélation que le Christ a proclamée et incarnée tout au long de son ministère terrestre. C’est à lui que Jésus confie cette mission, c’est sur lui que repose la communication de son œuvre.

    Pour appuyer cette thèse, remarquons que ce texte ne présente pas de réciprocité dans les rôles impartis. Non, le disciple est le seul investi d’une mission. À la fin de la scène, reconnaissant le rôle que Jésus lui a souverainement confié, il obtempère : « Dès cette heure-là, il la prit chez lui » (v. 27). Cette remarque est importante car elle remet en cause l’interprétation mariologique, si répandue, selon laquelle la mère de Jésus serait appelée à agir en tant que « mère de tous les croyants », représentés dans notre texte par le disciple bien-aimé. Mais ici, seul le disciple agit envers la mère, seul celui-ci accueille et prend soin.

    La mère de Jésus est donc simple réceptrice du soin. Mais dans le cadre symbolique ainsi exposé, il est impossible de la considérer comme unique destinataire du témoignage fidèle du disciple bien-aimé. C’est que, au-delà de sa propre personne, elle représente tous ceux qui sont réceptifs au salut, ceux qui croient, les intimes de Jésus. Ceux sont eux, membres de la famille nouvellement constituée, qui sont confiés à la direction de ce disciple, le témoin par excellence et digne de confiance.

    Bible et culture

    Par le don ultime de sa Mère au disciple qu’il aimait, Jésus inaugure un nouveau mode de relation entre Marie et ses disciples. De même que la Sainte Vierge a porté le Seigneur dans son sein, l’a mis au monde, nourrit et éduqué de telle manière qu’il advienne à sa vie d’homme et réalise pleinement sa vocation de fils d’Israël, de même, le Seigneur institue sur la Croix Marie Mère de tous ses disciples, avec pour mission de les faire advenir à la vie nouvelle dans le Christ, et à l’accomplissement plénier de leur vocation de fils de Dieu ; fils dans le Fils, et membres de son Corps qui est l’Église.

    Sur la Croix s’opère donc un mystérieux passage pour la Sainte Vierge, une véritable « Pâque ». De Mère de Jésus qu’elle était sur le plan charnel et humain, elle devient Mère de l’Eglise sur le plan spirituel et mystique, par la grâce opérante de la Parole de Jésus.

    La maternité de la Vierge Marie envers tous les membres de l’Église est une réalité si importante, si essentielle, qu’elle est devenue dans l’Église Catholique un article de foi, solennellement réaffirmé par le Concile Vatican II.

    Le rôle de la Vierge Marie ne s’est donc pas terminé à la fin de sa vie terrestre. Il continue aujourd’hui, du Ciel. Car notre Dieu « n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (cf. Mt 22. 32) ! C’est aujourd’hui que la Vierge Marie nous enfante à la Vie nouvelle dans le Christ. C’est aujourd’hui que Jésus nous confie sa Mère comme notre Mère. C’est aujourd’hui que sa Parole «Voici ton fils… voici ta Mère» s’accomplit.

    La clef de notre croissance spirituelle en Jésus réside donc dans la consécration de notre âme, de notre cœur, de tout notre être et de toute notre vie, à la Vierge Marie. On ne commet nulle infidélité au Seigneur Jésus en vivant dans la présence de Marie. Bien au contraire : en recevant Marie comme notre Mère, nous agissons en fidèles disciples du Christ, répondant à son invitation expresse sur la Croix à accueillir et honorer Marie comme notre propre Mère.

    En devenant dévot de Marie, nous grandissons dans la fidélité à la Parole de Dieu, en faisant ce qu’il nous commande. La piété envers Marie est donc inséparable de la fidélité au Seigneur Jésus. Bien plus, en vénérant Marie, la mère de Jésus, comme notre propre mère, nous grandissons dans notre communion avec le Christ notre frère. Car si nous avons, par grâce, le même Père qui est aux cieux, nous avons aussi, depuis l’Heure du Golgotha, et en vertu de cette même grâce, la même Mère en la personne de Marie.

    L’union spirituelle à la Mère de Dieu des disciples du Christ nous greffe à Lui et permet à son Esprit Saint de répandre ses dons et charismes dans tout le Corps de l’Eglise : il y a en effet une secrète et puissante affinité entre la maternité spirituelle de Marie pour engendrer les frères de Jésus et la fécondité de l’Esprit Saint qui nous fait « naître d’en haut ».

    Autrement dit, unis à Marie, nous grandirons dans l’amour et la confiance en notre Père des Cieux ; nous ressemblerons à Jésus qui l’a aimée et honorée comme sa propre mère ; et ainsi greffés sur son Cœur Sacré, nous permettrons à l’Esprit Saint de répandre ses grâces en chacune de nos âmes et dans toute l’Eglise – comme à l’Annonciation et à la Pentecôte. Pour la gloire de Dieu et le Salut du monde.

    C’est le don de Marie comme Mère au disciple bien-aimé qui met le sceau à toute l’activité messianique de Jésus. Il ne lui suffisait pas de donner sa vie pour nous, il fallait encore qu’il nous donnât celle qui lui avait donné la vie ! C’est par cet acte seulement que son dépouillement serait total.

    Le Seigneur est conscient d’avoir accompli toutes les Écritures quand il a donné sa propre Mère au disciple qu’il aimait.

    « Les derniers mots du Christ au disciple et à sa Mère donnent son ultime Testament, achèvement de toutes les Écritures » (P. de Menthière).

    Totus Tuus

    L’anonymat de sa mère et du disciple nous montre que saint Jean leur donne une valeur collective, ils sont représentants de tout un groupe. Cela est vrai du disciple que Jésus aimait qui, dépassant sa seule individualité, prend une valeur universelle. Il figure tous les disciples et même tous ceux qui sont appelés à devenir disciples, c’est-à-dire, en définitive, l’humanité toute entière (P. de Menthière). Et c’est à l’humanité toute entière représentée au pied de la Croix que Jésus proclame « descendance » de Marie. Marie donne naissance à l’Église. Le curé d’Ars aimait à dire « la Sainte Vierge nous a engendrés deux fois, dans l’Incarnation et au pied de la Croix : elle est donc deux fois notre Mère ».

     * Au pied de la Croix du Christ (2)

    Voyant sa mère

    Nous avons l’habitude de rencontrer ce verbe dans les Évangiles. Lorsque Jésus voit, tout de suite après, il pose un acte, il dit une Parole. A chaque fois, il y a corrélation entre voir et dire.

    Ici, ce que voit Jésus, ce n’est pas seulement « sa mère » ou « le disciple », mais précisément l’une ET l’autre, l’une PRÈS de l’autre.

    Il y a de la réciprocité. Jésus aurait pu se contenter d’adresser quelques mots à sa mère en la regardant. Mais son regard se pose sur les deux.

    On sait donc que ce qu’il va dire est lourd de sens. Au summum de la Passion, à bout de forces… (Cf. le psaume 22 verset 16) :    « chaque mot lui pesait car son palais était sec comme un tesson et sa langue collée à la mâchoire ».

    Il n’en peut plus mais il va s’adresser avec tendresse à sa mère et à ce disciple. On sent bien que le message est plus qu’important.

    Femme

    Il s’adresse à sa Mère en disant « Femme ». Bien sûr on ne s’attend pas à cela, nous autres occidentaux du 21ème siècle : c’est une étrange manière, pour un fils, de s’adresser à sa mère ! On aurait attendu maman ou mère !

    Il faut savoir que dans la bouche de Jésus, c’était un terme de courtoisie, qu’il employait volontiers quand il conversait avec une femme, que ce soit la Samaritaine, la Cananéenne, la femme toute courbée dans la synagogue (Lc 13,12) ou encore la femme adultère ou Marie de Magdala.

    C’est aussi le terme qui sera employé lors des apparitions à Marie Madeleine (Jn 20,13-15).

    Cette expression manifeste une certaine distance : celle qui convient à la réalisation d’un événement important.

    Les termes de maman ou de mère auraient eu un côté possessif qui n’est pas de mise. Marie n’est pas ou plus, en cet instant, la mère de Jésus, mais plus simplement, plus largement, une femme, une mère, près de son fils souffrant.

    Dans l’Évangile de Jean, le terme « femme » pour désigner Marie est employé au début du ministère de Jésus, à Cana et au pied de la croix, à la fin de son ministère sur terre.

    C’est volontairement que Jésus, sur la croix, donne à sa mère, en public, non pas un nom de relation familiale, le nom tendre qu’il employait sans doute à Nazareth, mais le nom de sa fonction dans le plan de Dieu. Rappelons-nous le récit du péché des origines au livre de la Genèse (Gn3) et ce que Dieu disait au Tentateur : « J’établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et sa race : celle-ci t’écrasera la tête ». Cette femme annoncée, qui par sa descendance doit être victorieuse du Prince de ce monde, cette mère, active pour le salut des hommes, c’est celle du messie-sauveur : et c’est bien ainsi que Jésus comprend le rôle de sa propre mère.

    Le message

    Le regard de Jésus va de Marie au disciple. Il y a une réciprocité et c’est dans cette réciprocité que Jésus va délivrer son message, comme sa dernière volonté : « femme voici ton fils ».

    Mais il ne faut pas rester à cette lecture affective de ce passage. Le Christ n’a pas voulu seulement toucher notre affectivité : jamais il ne reste à ce niveau.

    Si c’est cela qu’il avait voulu, il aurait d’abord dit au disciple : « voici ta mère », sous-entendu, « prends en soin ». Il a d’abord parlé à sa mère en disant « femme voici ton fils ».

    Jésus révèle un lien de mère à enfant. En ces deux versets, tout porte donc à donner à la double expression « voici ton fils, voici ta mère » le maximum de force effective et réaliste (Bible chrétienne).

    Et cette révélation ne concerne pas le seul Jean qui est ici anonyme et désigné par sa seule qualité de disciple. Manière de signifier que dans la figure du « disciple », Jean doit représenter tous les disciples qui sont aimés de Jésus et du Père (A. Feuillet). En dehors de la personne du disciple, c’est donc chacun des disciples du Seigneur qui se voit confié à Marie.

    C’est bien une révélation de la plus haute importance… « Sur le Calvaire, c’est un enfantement dans la douleur qui s’accomplit. Combien plus que l’Apôtre, la Mère de Dieu peut-elle dire à chacun de nous : « mes petits enfants, que dans la douleur j’enfante à nouveau » (Ga 4,19). « Marie qui avait enfanté virginalement le fils de Dieu enfante maintenant spirituellement l’humanité dans une douleur qui l’unit à celle de Jésus crucifié » (Guillaume de la Menthière).

    Jean-Paul II dans « Redemptoris Mater » n° 40  dit : « les paroles si essentielles du Christ en Croix « voici ton fils » sont d’une sobriété telle qu’elles font penser à une formule quasi sacramentelle. Marie est dès lors constituée, on dirait presque consacrée, comme Mère de l’Eglise du haut de la Croix ».

     * Au pied de la Croix du Christ (2)

    Jésus commence par donner Jean pour fils à Marie. Au moment de mourir, Jésus va au bout du don. Son détachement va jusqu’au bout du don. Non seulement, il donne sa vie, il donne aussi sa mère et il s’en sépare.

    Et Jésus confie sa mère « Voici ta mère » mais pas à n’importe qui : il la confie au disciple qu’il aimait, à ce moment dramatique près de la croix où il va mourir après une longue agonie.

    Conclusion

    Le disciple que Jésus aimait a accueilli la mère de Jésus. Ainsi il s'est conformé d'une manière inconditionnelle à la parole de Jésus. La mort de Jésus est un événement souverainement efficace. Dans l'Évangile de Luc, la conversion du bon larron en est la preuve. Dans l'Évangile de Jean, la perspective est plus mystérieuse et comme plus prometteuse. La petite communauté faite de la mère de Jésus et du disciple bien-aimé est une annonciatrice de la communauté chrétienne. Le moment dramatique de la mort de Jésus est le point de départ d'une Église reconnaissable à l'amour que l'on y exerce les uns pour les autres. Des traductions plus subtiles portent au lieu de « Dès cette heure-là », « à cause de cette heure-là ». Voilà une variante dans la traduction du mot grec « apo ». Cela signifie que la mort de Jésus n'est pas que le point de départ dans le temps de la première communauté, mais sa cause ou sa source.

    Le disciple bien aimé accueille la Mère de Jésus parmi les siens, parmi sa propre communauté, dans ce qu’il possède de plus précieux puisqu’il fut capable de reconnaître la grande dignité de cette femme dans la communauté des croyants et dans l’histoire du salut. Il ne l’a pas seulement accueillie comme sa Mère, il fut aussi, par elle, accueilli comme un fils. Ce disciple bien aimé devint donc un véritable frère pour celui qui est suspendu à la croix.

     * Au pied de la Croix du Christ (2)

    Ce petit groupe rassemblé autour de la Croix doit toujours être compris dans le cadre de l’immense peuple messianique. Ainsi, Marie est toujours avec nous.

     Synthèse de recherches et mise en page par le Frère André B., G.C.P.

    Références :

    http://www.totus-tuus.fr/article-31536427.html

    http://www.interbible.org/interBible/ecritures/symboles/2004/sym_040127.htm

    https://www.portstnicolas.org/phare/le-texte-biblique/marie-dans-l-evangile/femme-voici-ton-fils-voici-ta-mere.html


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires

    Vous devez être connecté pour commenter