• * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

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    Rubrique « Regards sur la liturgie » – 24

     Liturgie et recherche spirituelle 

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    Introduction

    Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous a semblé utile de rappeler quelques définitions dont celles des mots inclus dans le titre de ce nouveau parchemin.

    La liturgie

    D'une manière générale, le mot « liturgie » désigne l'ensemble des rites et du cérémonial liturgique mis en œuvre au cours d'une célébration religieuse officielle, c'est-à-dire organisée par l'Église, par opposition aux dévotions privées.

    Les liturgies chrétiennes se composent de l'ensemble des lectures, prières et rites constitutifs du culte chrétien, organisé en un certain nombre de rituels quotidiens qui culminent dans la messe ou eucharistie.

    D’après Wikipédia

    La recherche spirituelle

    Quand on l'entend dans un sens religieux ou philosophique, la spiritualité est ce qui est indépendant de la matière, ce qui concerne la vie de l'âme. Elle n'est pas uniquement liée à la religion ou à la philosophie. En dehors de toute croyance, foi ou dogme, la spiritualité consiste aussi à découvrir une autre dimension de soi-même.

    D’après le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales

    Religions et spiritualité
     

    Si toute religion est fondée dans une spiritualité, toute spiritualité n'est donc pas une religion. Selon certains auteurs, la distinction se ferait ainsi : il y aurait dans la religion une perspective collective et dans la spiritualité une démarche plus individuelle.

    La spiritualité, c’est ce qui appartient à la vie de l’Esprit. La spiritualité chrétienne est accueil et vie selon l’Esprit du Christ. Elle est caractérisée par une écoute de la Parole de Dieu, un mode de relation avec Dieu, une vie selon le Royaume. Elle est fondée sur la conviction que l’Esprit de Dieu lui-même habite au cœur de chaque baptisé.

    D’après Wikipédia

    Quelle est la différence entre religion et spiritualité ?

    Dans l'imaginaire commun, religion et spiritualité sont liées parce que toutes les religions sont fondées sur une spiritualité, mais l'inverse n'est pas vrai. En effet, la spiritualité est individuelle, elle est en soi, que l'on soit croyant ou non. C'est une vie de l'esprit, laïc ou non !

    Selon les défenseurs de la religion, la spiritualité est vide de sens et serait juste une envie de certaines personnes en quête de positions bizarres avec le corps. Pour les défenseurs de la spiritualité, la religion est tout simplement un ensemble de règles et obligations que les fidèles suivent.

    La religion et la spiritualité sont deux façons de trouver la paix !

    Pour comprendre la différence entre ces deux concepts, il est important de les connaître. La religion est un système de croyance en un seul dieu (ou des dieux), ce qui implique le culte et suivre les rituels et la conduite éthique dans la pratique du bien. La spiritualité est un ensemble de croyances, d’attitudes et de pratiques qui cherchent à transcender et atteindre le monde spirituel sans règles bien définies. La spiritualité tente d’atteindre le bien-être intérieur, l’amour proféré par Dieu (ou des divinités) à travers la connaissance de l’âme humaine.

    La religion est dogmatique, la spiritualité est libre.

    Dans les religions, il y a un ensemble de croyances qui sont considérés comme des vérités révélées par le Divin. En suivant les dogmes de la religion – comme la croyance en l’existence de Dieu, le baptême, la rémission des péchés, l’existence du ciel et l’enfer, etc. – les fidèles se rapprochent de Dieu et du Bien. Croire aux dogmes et suivre les rituels de la religion (aller à l’église, faire baptiser les enfants, se marier et de suivre les lois de la religion prophétisée dans les livres saints) les fidèles entretiennent une bonne relation avec la divinité en qui ils croient.

    Pour la spiritualité, l’on trouve ses propres moyens d’entrer en contact avec la divinité en qui l’on croit, de façon à retrouver la paix intérieure. Tous ceux qui cherchent à développer leur spiritualité font des actions et de bonnes pratiques dans le but de se rapprocher du divin. Il n’existe ni de règles à suivre ou ni de méthodes bien définies, l’idéal est la recherche du bien-être physique, spirituel et la transmission des actions du Bien.

    Enfin, l’objectif est le même : se rapprocher de Dieu (ou des dieux, des divinités) et faire le bien, mais la religion montre ses règles et les moyens de rendre cela possible tandis que la spiritualité demande que l’on trouve par soi-même son propre chemin, celui qui lui semble le plus approprié. Aucun des deux concepts ne prime sur l’autre, car certaines personnes se sentent plus proches du bien et de Dieu à travers la religion, et d’autres personnes, par contre, s’adaptent mieux à la liberté de la spiritualité.

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    La santé, religion et la spiritualité

    Être un spiritualiste, avoir la foi, croire en Dieu, quelle que soit votre religion ou si vous avez un côté spirituel, indépendamment des religions, cela est bénéfique pour votre santé. La foi se révèle un torrent inépuisable d’énergies, qui combat le stress, la colère, l’amertume et la dépression. C’est donc quelque chose qui aide le corps, l’esprit et les émotions à tout moment de la vie. Dans la religion, la foi est liée à la croyance en Dieu, les anges et les saints sont capables de nous entendre et de nous aider en matière. Dans la spiritualité, les gens croient que par la méditation, la pratique du bien et de la connaissance de l’âme humaine, l’on peut réaliser des processus de guérison et de sagesse. 

    La religion et la spiritualité impliquent la foi et la croyance et sont également bénéfiques à la santé physique et mentale.

    La religion a des dogmes et des règles claires et précises. Les fidèles sont amenés à ne pas les remettre en cause, mais il faut souligner que chacun des deux concepts existent pour guider les hommes vers le chemin du bien.

    Les règles amènent les fidèles à trouver la paix et répandre le bien. Beaucoup de gens préfèrent les dogmes, les règles bien définies pour se sentir proche de Dieu. La liberté de la spiritualité n’est pas vaine, elle n’est pas païenne et mérite le même respect de la part des religieux. Si une personne ne se sent proche de Dieu à travers une religion, elle peut chercher d’autres moyens pour se connecter au divin, et retrouver la paix grâce à sa propre spiritualité.

    Extraits du site « Wemystic.fr »

    Qu'est-ce que le développement spirituel ? Comment éveiller sa spiritualité ?

    La quête de spiritualité peut prendre plusieurs formes : la prière, la méditation, la lecture d'ouvrages, la réflexion, la contemplation, toutes les activités qui permettent en fait de prendre le temps de s'écouter.

    Se concentrer sur soi est nécessaire pour mieux se connaître et donner du sens à sa vie. La quête spirituelle est une façon de se réaliser entièrement. C'est un moyen de s'accomplir et de faire la paix avec soi-même. La spiritualité est au centre de nous-même, c'est notre équilibre, nous en avons donc besoin pour vivre, mais aussi pour se remettre d'une rupture, se relever après un échec, passer au-delà d'une déception, etc. Pour s'élever spirituellement, on commencera par lâcher prise et faire taire son ego.

    Extraits du site « Astrocenter – L’avenir est à moi »

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    Pour conclure cette introduction, nous pourrions dire que la spiritualité c'est une quête de sens qui mène à la liberté. C'est une façon de sortir de son corps et de mieux s'accorder pour réussir à vivre en accord avec notre moi profond.

    Entrons à présent dans le vif du sujet !

     Liturgie et recherche spirituelle 

    Quatre métaphores pour aujourd'hui

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    Quels critères et quelles modalités permettent à la liturgie de répondre aux multiples facettes de la foi aujourd’hui et dans les années à venir, à la quête spirituelle de chacun, à ses attentes intérieures, ses demandes de sens, aux besoins humains et spirituels ? Pour tenter de répondre à ces questions, j’esquisse quatre métaphores de ce que, à mon avis, la liturgie est appelée à être dans les prochaines années.

    La liturgie comme « mouillage »

    A une époque où la recherche personnelle devient le fondement de la vie spirituelle, il existe un croyant voyageur, chercheur, nomade. C’est un croyant désenchanté que les formes traditionnelles des systèmes de croyance peinent à convaincre, quand elles ne lui semblent pas manquer de crédibilité.

    Le croyant voyageur vit une tension intérieure. D’un côté, il croit devoir expérimenter de nouveaux parcours en personnalisant sens et pratiques, en les refondant, d’une certaine manière, à partir de ses connaissances et de ses expériences personnelles ; son monde spirituel est son seul temple. D’un autre côté, il est habité par le désir de trouver la stabilité dans une croyance assurée ou dans une expérience religieuse à laquelle il puisse adhérer de façon définitive.

    La liturgie « mouillage » est celle qui s’offre comme un port auquel le croyant voyageur peu accoster au gré de ses pérégrinations, à son rythme et selon un calendrier qu’il est le seul à fixer : nécessité intérieure, moments significatifs de la vie, fêtes religieuses d’importance, etc. Cet accostage épisodique et sporadique ne peut pas être assimilé à un catholicisme de socialisation ni de tradition, il répond à une sorte de nostalgie des origines, celle de la maison dont on est parti sans l’avoir jamais complètement quittée. La liturgie « mouillage » répond au besoin et au désir d’un rituel connu, fait de lieux, de symboles, de chants, de formules, de prières silencieuses ou partagées avec d’autres. C’est une liturgie familière à laquelle on peut revenir comme à un mouillage sûr, dont on est certain de l’existence, sur lequel on peut compter, un refuge, un abri lorsque l’on est fatigué de chercher, une halte passagère dans un long pélerinage qui permet ensuite, une fois les amarres larguées, reprendre la traversée.

    Le nomade ne demande rien de particulier à la liturgie si ce n’est d’exister, de l’accueillir, de le recevoir de le reconnaître. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire que la liturgie de l’Église, avec son style, ses messages verbaux et non verbaux, ne crée ni barrières ni obstacles. Qu’elle ne repousse ni n’éloigne personne par sa façon d’être célébrées : l’atmosphère, le climat perçu avant toute parole son décisif.

    Une liturgie devient « mouillage » si elle renonce à s’adresser à des élus, des purs ou même seulement à des habitués, si elle est capable d’accueillir chaque forme de recherche de Dieu, et d’avoir de l’empathie pour les chercheurs de Dieu.

    La liturgie « mouillage » est semblable à l’expérience qu’ont faite tant de figures de l’Évangile qui vinrent à Jésus de façon furtive, presque toujours anonyme, pour lui demander un signe, parole, un geste de guérison. Des personnes venues à Jésus, et dont on ne connaît même pas le nom, ont trouvé en lui ce qu’elles cherchaient. Elles s’en sont allées sans laisser de trace dans les récits évangéliques, Jésus ne leur a rien demandé ; il s’est contenté de reconnaître leur foi. Il n’a pas vérifié la fréquence, il n’a pas mesuré l’appartenance, il a su deviner leur besoin, répondre à leur désir, qui est toujours désir de vie, de santé, de reconnaissance.

    La liturgie comme « puits »

    La liturgie « puits » se rend accessible aux personnes qui, à la différence des chercheurs voyageurs, vivent sur une ligne de crête, partagées entre une recherche spirituelle sincère et des résistances intérieures qui les empêchent de croire totalement. Ces personnes ont eu un vrai chemin ou un jaillissement de conversion accompli selon des formes et des modes qu’elles seules connaissent. La liturgie, tel un puits, fonctionne alors comme un lieu où l’on vient pour écouter l’annonce de la foi et puiser des raisons pour croire. Le puits attire pour ce qu’il offre de vital et qu’on ne trouve ailleurs.

    La liturgie « puits » est vécue comme une réserve de sens, le lieu de la rencontre avec la parole de Dieu, avec la prédication de l’Évangile, avec ceux qui professent leur foi. La fréquence et la durée de ces pauses sont choisies en fonction des besoins intérieurs des personnes. Outre les liturgies ordinaires des communautés paroissiales, cette liturgie « puits » est plutôt celle des monastères ou des communautés religieuse où alors la liturgie dans une vie communautaire, dans une spiritualité. La personne qui s’y rend s’unit à une communauté qui prie, célèbre et accueille celui qui le demande. La liturgie « puits » est le reflet d’un christianisme capable d’attirer, capable de vaincre les résistances et les doutes les plus grands. Elle est source d’inspiration pour croire, pour expérimenter une foi in itinere – en chemin – qui avance parce qu’un désir la guide. De là nécessité toujours plus pressante pour la liturgie d’être parlante aujourd’hui, d’être crédible, à la hauteur des défis à relever. Pour ce faire, dans les décennies à venir, si la liturgie veut survivre à elle-même, elle devra chercher et trouver un langage singulier : les paroles de la liturgie doivent devenir des paroles de salut, des paroles qui humanisent et qui, ici et maintenant, font du bien à la vie. Des paroles de salut, oui ! Mais à condition qu’il s’agisse d’un salut incarné, et non abstrait d’un salut qui rejoint l’existence concrète des personnes.

    De même que pour la foi, on ne demande qu’une seule chose à la liturgie aujourd’hui, qu’elle donne un sens à la vie, qu’elle fasse ses preuves et endure les peines de la vie, qu’elle aide à être bien soi-même, avec les autres et avec Dieu.

    La liturgie « puits » est celle qui comme, Jésus à la femme de Samarie, donne l’eau qui fait naître la foi. Rappelons que, dans le quatrième Évangile, le puits est le lieu où Jésus accomplit la plus haute révélation du nouveau culte en esprit et vérité (Jn 4, 23) initié par lui parce que vécu par lui.

    La liturgie comme « seuil »

    La liturgie « seuil » permet d’accéder graduellement à l’expérience de Dieu, débouchant sur l’adhésion convaincue à la foi et sur l’appartenance communautaire. C’est le moment le plus complexe où la liturgie accomplit son travail de sage-femme et révèle sa capacité maïeutique. Le rituel liturgique, par la seule grâce de la parole de Dieu qui annonce par des gestes et des paroles, engendre à la vie, à condition qu’il sache éveiller l’intérêt de celui qui y prend part et dont la recherche d’expérience est aussi sincère qu’exigeante.

    La liturgie en tant que « seuil » reconnaît que ce passage prend du temps, il ne fait pas du jour au lendemain, d’autant que certains, restent sur le seuil, constituent un état permanent de l’expérience croyante.

    Croire sur le seuil est un état qu’on ne choisit généralement pas, mais dans lequel on se reconnaît et que l’on fait sien. Cela nécessite de la part de l’Église, une plus grande capacité de pénétration du mystère du Corps du Christ et de l’action de l’Esprit-Saint, qui est l’Esprit de communion en croissance. Comme seuil, la liturgie doit savoir réunir et en même temps articuler l’unique appartenance spirituelle à Jésus-Christ dans diverses formes d’appartenance à la communauté des croyants.

    Dans l’Évangile, les croyants du seuil sont au nombre de deux : Nicodème et Joseph d’Arimathie. Nicodème, notable parmi les juifs, va voir Jésus, de nuit pour l’interroger et écouter, reconnaissant que Dieu est avec lui mais sans décider de le suivre comme disciple. En revanche, Joseph d’Arimathie, membre influent du Sanhédrin est disciple de Jésus, mais en secret par crainte des juifs (Jn 19, 38). Ces deux hommes expérimentent combien il est difficile de croire dans le Rabbi de Nazareth, même dans le secret.

    La liturgie comme « maison »

    Enfin, la liturgie « maison » est la liturgie de celui qui se reconnaît croyant se déclare croyant devant le monde, celui qui a le sentiment d’appartenir durablement à une communauté chrétienne. La liturgie « maison » est celle de ceux qui demeurent, des disciples qui se réunissent régulièrement et pour certains, assidûment, autour de leur Seigneur pour écouter sa parole et rompre le pain. Tout ce qui s’impose aujourd’hui en matière d’éloquence, de clarté et d’authenticité de la liturgie vaut aussi, et à plus forte raison, pour cette dernière image. Les croyants disciples vivent plongés dans leur siècle. Ce sont des croyants désabusés qui selon des formes et des modalités différentes, font l’expérience des dynamiques contemporaines de la foi, avec les besoins et les exigences qui en découlent. Plus qu’une réalité déjà donnée et réalisée une fois pour toutes, la liturgie « maison » est un devoir qui nous attend encore.

    Goffredo Boselli, membre de la communauté monastique de Bose en Italie, responsable de la liturgie et enseignant dans son monastère

     Liturgie et recherche spirituelle 

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    Pour ne pas trop allonger ce parchemin, nous avons jugé utile de résumer une conférence donnée au Québec le 15 mars 2007 par le Frère bénédictin Patrick Prétot, et d’en extraire les idées principales :

    « Si je n'avais qu'une chose à vous dire, ce serait celle-ci : la liturgie est vraiment elle-même lorsqu'elle est chemin de vie spirituelle ». En d'autres termes, il ne suffit pas de célébrer, il faut encore permettre à nos communautés de pouvoir vivre de ce qu'elles célèbrent.

    Parler de « liturgie et vie spirituelle », ce n'est pas parler d'un sujet parmi d'autres, mais c'est aller au cœur de la question cruciale, celle de notre relation à Dieu. Car la liturgie est avant tout convocation par Dieu d'un peuple qu'il aime et sauve.

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    1. Parler de liturgie et vie spirituelle, c'est considérer la liturgie comme source et pas seulement comme sommet.

    Aujourd'hui, pour beaucoup, l'expérience de la liturgie, relève de l'exceptionnel : une grande célébration diocésaine, un mariage, un pélerinage. L'exceptionnel avec donc des moyens : orchestre, déploiement d'acteurs, recherche de créativité, etc.

    Nous oublions que la liturgie est aussi, et même d'abord, source de vie chrétienne : liturgie au quotidien, messe ordinaire, prière commune au long des jours, des semaines et des années.

    Parler de liturgie et vie spirituelle, c'est donc insister sur la dimension « source » de la liturgie.

    « Je voudrais surtout vous inviter à goûter la liturgie comme une source en sachant qu'à cette source coule à la fois l'eau qui donne la vie et le vin qui enivre. Il s'agit de la goûter avec tout votre être et pas seulement avec votre tête ».

    Dire que la liturgie est source, c'est aussi dire qu'on l'approche avec pudeur.

    Dire que la liturgie est source, c'est dire aussi l'importance du facteur temps.

    Boire et goûter la source demande de la fréquenter régulièrement.

    Dans un monde qui zappe, qui cultive l'instant, le moment présent, il faut dire que la liturgie n'est source de vie spirituelle que si on la fréquente, c'est-à-dire qu'on y va régulièrement. Bien sûr que ceci va à contre-courant : mais aimer en vérité va à contrecourant de la facilité.

    Ainsi, si le rythme fondamental de la célébration de l'Eucharistie est hebdomadaire – les chrétiens se rassemblent le dimanche pour faire mémoire de la résurrection du Seigneur – , le rythme normal de la prière est quotidien et même plusieurs fois par jour. Car en régime chrétien, le statut fondamental de la prière, c'est « priez sans cesse ».

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    2. La liturgie est source de vie spirituelle car elle nous ramène à l'essentiel.

    En participant à la liturgie, j'ai l'impression que l'essentiel est parfois un peu mis en sourdine au profit d'un discours plein de bonne volonté, mais qui risque de contribuer à éloigner encore plus ceux qui sont loin de nos églises. Il me semble qu'il y a la tentation de réduire la foi à des valeurs : la solidarité, la compassion, le souci des autres, la défense des opprimés. Tout cela est bien sans doute, mais est-ce vraiment le cœur de la foi ?

    Est-ce que ce sont les valeurs qui peuvent nous sauver ? Nous le sentons bien : nous avons besoin de valeurs pour vivre, bien sûr. Car il faut bien avoir des repères pour vivre honnêtement, pour vivre en harmonie. Tenir à la loyauté, on le sait bien, ce n'est pas seulement, tenir à une valeur, c'est tenir aux conditions du vivre ensemble.

    Quand on considère la relation entre liturgie et vie spirituelle, je crois pouvoir dire que la force de la liturgie, quand on la respecte, c'est précisément, non pas de nous ramener à des valeurs, mais de nous remettre devant le mystère de Dieu, devant un Dieu qui nous aime, et qui nous sauve. Qui nous aime sans condition et qui nous a sauvés en Jésus-Christ de manière irrévocable.

    La liturgie est source de vie spirituelle parce qu'elle va au-delà d'un simple discours de valeur pour nous conduire à la rencontre.

    Si vous voulez servir la liturgie et par là la vie spirituelle de votre paroisse, c'est donc aux conditions pour que cette rencontre ait lieu qu'il faut travailler. Cela devrait nous délivrer de la tentation qui habite tant de nos contemporains, des prêtres parfois de vouloir faire de la liturgie spectacle pour bénéficier des applaudissements de la foule. Ce n'est pas une liturgie spectacle proclamant les valeurs que nous souhaitons défendre qui va nous sauver. C'est la liturgie source de vie spirituelle parce qu'elle nous ramène au Christ qui par sa croix nous a sauvés.

    Le christianisme en effet n'est pas d'abord un ensemble de valeurs, mais la rencontre d'une personne, le Christ, que nous reconnaissons comme Fils de Dieu et dont la mort et la résurrection nous a ouvert la porte du salut et nous a donné part déjà au royaume par le don du Saint-Esprit.

    Ceci est très important en ce début du 3ème millénaire où nous pouvons avoir quelques doutes sur la pertinence de la vie chrétienne. En effet, dans nos sociétés occidentales, la question est en effet de savoir comment nous pourrons être les témoins de Jésus-Christ dans les 20 ans à venir.

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    3. La vie spirituelle n'est pas réservée à une élite, elle n'est pas non plus une catégorie à part de la vie tout court.

    Il y a souvent l'idée que la vie spirituelle, c'est un aspect spécial de la vie et qu'au fond, c'est réservé à une élite.

    Il s'agit d'une tentation classique dans l'histoire, tentation à laquelle ont cédé des courants religieux comme les cathares, à laquelle certains chrétiens qui cherchent vraiment Dieu, à laquelle des moines, des religieux et religieuses peuvent se laisser prendre parfois... Tentation de se croire une élite. Les pères du désert, les premiers moines, des hommes frustes ont raconté plein d'histoires parfois assez surprenantes pour conjurer cette tentation de se croire arrivé en vie spirituelle.

    Bref, il y aurait des chrétiens avec une grande vie spirituelle – et on suppose que dans ce groupe, il y a les moines qui seraient des as de la vie spirituelle – et d'autres avec pas ou une toute petite vie spirituelle.

    Or il me semble qu'il faut dire que la vie spirituelle, c'est le don de Dieu en nous à notre baptême, un don qui est donc fait à tous et pas à quelques privilégiés, un don qui ne vient pas de nous car c'est le Saint-Esprit agissant dans nos vies. La vie spirituelle, c'est l'appel universel à la sainteté.

    Les saints que nous sommes appelés à devenir, Dieu les fait, car c'est le Saint-Esprit qui fait les saints, à partir des pécheurs. Les saints sont des pécheurs retournés.

    Dès lors les obstacles que nous mettons à la croissance de la vie spirituelle, ce n'est pas tellement notre péché mais bien plus notre manque d'attention au don de Dieu. Là encore, la liturgie est source de vie spirituelle, chemin de sainteté.

    La liturgie est chemin de sainteté parce qu'elle nous replace en contact avec Dieu qui sanctifie.

    La sainteté, c'est la lumière de Dieu qui vient par les fenêtres de la grâce. Or la liturgie est précisément l'une de ces fenêtres – il y en a d'autres, et notamment le service des frères, mais aussi le témoignage de la foi – par lesquelles nous accueillons la lumière de Dieu, la sainteté de Dieu.

    Si l'Église attache tant d'importance à notre participation à la liturgie, c'est parce qu'elle sait de très loin, même si elle ne sait pas toujours bien le dire pour être entendue de nos contemporains, que c'est le chemin de la sainteté.

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    4. La liturgie est source de vie spirituelle parce qu'elle propose la foi.

    Dire que la liturgie propose la foi, et même qu'elle est le premier lieu de la proposition de la foi, ne signifie pas que la messe doit être transformée en grande catéchèse. Il faut distinguer « proposer la foi » et « proposer les contenus de la foi ».

    Beaucoup de nos contemporains ont une approche de la foi que je qualifie d'intellectuelle, c'est-à-dire qui fait une part trop grande au discours, au savoir ou à ce que l'on croit du savoir sur Dieu.

    Ce n'est pas parce que l'on sait bien parler, que l'on sait bien discuter sur telle ou telle question, que nous avons progressé dans l'ordre de la foi ! Dès lors dire que la liturgie propose la foi est souvent mal compris : on croit que la liturgie sera nourriture pour les chrétiens dans la mesure où l'on va « bien expliquer » ce que signifient les textes, les rites et les symboles, et cela éventuellement en faisant appel à des supports visuels bien conçus.

    Dire que la liturgie propose la foi, c'est autre chose car c'est dire quelque chose d'éminemment spirituel. C'est dire que le plus important n'est pas de comprendre – cela ne veut pas dire pour autant que c'est mieux si on ne comprend rien, mais cela veut dire que nous acceptons de ne pas comprendre tout et tout de suite.

    Qui d'ailleurs peut prétendre comprendre la Sainte Écriture ou la Messe ? On n'a jamais fini de comprendre !

    La question est moins de comprendre que de se laisser comprendre par le mystère. C'est cela entrer et progresser dans la foi.

    C'est pour cela que la liturgie procède par répétition : on dit toujours le « Notre Père », voilà plus de 20 siècles que cela dure. On dit toujours les mêmes psaumes, on passe toujours par les mêmes fêtes au cours desquelles on entend lire les mêmes textes. C'est parce que nous avons besoin de cette répétition pour approfondir, pour découvrir autrement. Nous avons moins besoin d'explication que de familiarité.

    La recherche spirituelle est aujourd'hui inséparable de la quête d'identité. La recherche d'identité va de pair avec des choix quant à la manière de vivre sa religion et donc des choix quant à la vie liturgique. En d'autres termes, alors que les générations précédentes ont cherché à adapter la religion à ce qu'ils croyaient être les requêtes de la modernité, voilà que les nouvelles générations demandent des choix clairs et parfois empruntés au passé pour pouvoir se construire une identité. Mais elles cherchent les chemins de leur vie spirituelle en choisissant dans ce qu'elles trouvent, ce qui leur paraît convenir. Ceci vaut non seulement de certaines formes liturgiques mais aussi des figures spirituelles ou encore des pratiques de piété.

    Au lieu de proposer l'expérience de la liturgie, nous proposons bien souvent un discours qui réduit la liturgie à ce que nous en percevons. Je suis bien persuadé que c'est en favorisant l'expérience de la rencontre personnelle avec soi et avec Dieu que nous donnerons le goût de la liturgie aux plus jeunes.

    La liturgie propose la foi non comme un discours sur les choses de la foi mais comme une expérience ecclésiale de la rencontre entre Dieu et son peuple, de la rencontre personnelle et communautaire de cet Autre que nous nommons Dieu et qui seul peut nous sauver. Et pour que cette rencontre ait lieu, le rite est décisif : car il introduit le croyant dans ce qui le dépasse.

    Nous avons trop facilement admis que le rite serait aliénant parce que la loi du rite s'impose à ce que nous croyons être notre liberté et notre créativité. En réalité, le rite est libérant, car il nous ouvre un espace où nous n'oserions pas aller. Le rite est source de vie spirituelle parce qu'il nous défend de l'enfermement sur nous-mêmes.

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    5. La liturgie est source de vie spirituelle car elle est entrée dans le Mystère.

    Le mot « mystère » est un mot très lourd de sens qui, lui aussi, est souvent objet de méprises. Trop souvent, on l'entend comme ce qui est incompréhensible. Le mystère chrétien n'est pas une « énigme » qui renverrait à des choses cachées, secrètes, incompréhensibles. Il y a là un vrai risque pour les chrétiens d'aujourd'hui : parce que dans notre monde contemporain, l'attrait pour l'ésotérisme est très important. Certains croient que c'est en retrouvant du mystérieux, y compris dans la liturgie, que l'on va retrouver la foi. Le goût du mystérieux peut aller de pair avec les croyances les plus extravagantes.

    Plus encore, le mot de mystère est piégé parce qu'il évoque aussi ces choses qu'on ne vous a jamais dites et même qu'on vous avait toujours cachées. Parfois aussi, le mot mystère est dévalué parce qu'il a servi à fournir une réponse facile à des questions difficiles. On sait combien la catégorie de mystère a servi pour sortir de la difficulté à expliquer certains passages de l'Écriture, certains événements de l'histoire du salut, comme par exemple la naissance de Jésus.

    La liturgie est célébration du mystère. C'est le mystère du Christ qui est présent.

    La notion de mystère en régime chrétien renvoie donc au Christ lui-même : car c'est en lui que nous atteignons le Mystère par excellence. Parler de mystère, c'est donc parler d'une personne et non d'une chose.

    Le mystère, nous ne le connaissons jamais totalement, nous avons sans cesse à refaire le chemin de la reconnaissance. C'est pourquoi, il nous faut participer régulièrement à l'Eucharistie, lire et relire les saintes Écritures : la messe est toujours identique. Mais parce qu'à travers la célébration de l'Eucharistie, à travers la lecture et la méditation des Saintes Écritures, nous est manifesté le mystère d'un Dieu qui se donne à nous, nous n'aurons jamais fini de reconnaître la présence de la personne du Christ ressuscité qui est le centre de notre foi, la manifestation par excellence du mystère de Dieu, Père, Fils et Esprit.

    Frère Patrick Prétot, membre de l’Ordre des Bénédictins de Saint-Benoît, Institut Supérieur de liturgie (ISL) Institut Catholique de Paris

     La liturgie : école de la foi 

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    1) La liturgie : école de la foi

    La liturgie est une mystagogie. La mystagogie chrétienne, dès les premiers temps de l’Église a toujours été considérée comme une expérience qui fait entrer le croyant dans le mystère du Christ et de l’Église. C’est la pédagogie chrétienne propre à la liturgie.

    Voyons trois aspects de cette mystagogie chrétienne en acte dans nos vies de croyants :

    1) La liturgie : école de la foi qui me transforme

    « Ma vie dans la chair, je la vis dans la foi au Christ qui m’a aimé » (Ga 2,22). La foi au Christ transforme peu à peu la subjectivité du baptisé en l’appelant à ajuster sa vie sur la vie du Seigneur Christ, plus réelle que la sienne « le Christ qui m’a aimé et s’est livré pour moi ». Nous venons à la liturgie tels que nous sommes, nous y sommes transformés tels que nous devons être.

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    a) Être convoqué :

    Participer à la liturgie, c’est faire l’expérience d’être convoqué. L’étymologie grecque du mot « église, ekklesia » signifie justement « convocation ». Toute célébration est réponse à une convocation divine parfaitement gratuite. On ne vient pas prier quand on a envie, on y vient le dimanche ou à l’heure de l’Office, appelé par Celui qui nous invite à le rencontrer, et concrètement par un signal sonore invitant celui qui l’entend à se déplacer : « À l’heure de l’Office divin, aussitôt le signal entendu, on quittera tout ce que l’on a dans les mains et l’on se hâtera d’accourir... que rien ne soit préféré à l’Œuvre de Dieu » (RB 43). L’amour fervent répond à l’amour de Dieu et cet amour s’exprime dans un comportement corporel : des oreilles qui entendent la cloche, des mains libérés, des pieds empressés. « Venez... » est un des mots de la liturgie dans ses invitatoires. Venir, c’est se déplacer et le déplacement n’est pas seulement spatial mais intérieur. Venir, c’est renoncer à ses intérêts propres, à ses occupations, à ses affaires pour entrer dans l’affaire de Dieu.

    Le temps chrétien, Heures de l’Office ou Temps de l’année liturgique, est rythmé par ces convocations divines. Être chrétien, c’est ajuster sa vie aux mystères du Christ célébrés au long du temps. On ne décide pas d’entrer en Carême : « Voici le temps favorable...». Que j’y sois disposé ou non ! Je serai d’autant plus en situation de vivre un carême de conversion.

    L’objectivité de la liturgie sensibilise progressivement le croyant au mystère du Christ en le décentrant de lui-même. Elle le libère en l’entraînant au-delà de ses sentiments et impressions passagères.

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    b) Une prière en « nous » :

    Le véritable sujet de la liturgie c’est l’Église, voix de l’Épouse qui s’adresse à son Époux. La célébration liturgique, c’est l’Église en prière. Les actes du langage liturgique sont toujours en « nous » : « nous te prions... nous t’offrons... nous te rendons grâce car tu nous choisis pour te servir en ta présence... ». C’est à l’intérieur de ce « nous » que chaque « je » est appelé à trouver et à prendre sa place.

    Le « Notre Père » apparaît comme le modèle de la prière chrétienne. Je ne peux la proférer sans que, prenant position de fils, fille de Dieu, je ne reçoive ma place au milieu d’une multitude de frères et de sœurs. Ce « nous » est une communion de personnes.

    Il n’y a pas de spectateurs dans la liturgie chrétienne, nous tous sommes des co-célébrants. Tous les membres de l’Assemblée sont autant d’acteurs au service de la croissance de la Communauté comme Corps du Christ, structuré par divers ministères qu’exige l’action liturgique : fonctions de président, de lecteur-lectrice, chantre, organiste, choristes... Parce qu’elle est action commune et concertée, la liturgie demande que chacun, chacune, en s’acquittant de sa fonction, fasse seulement et totalement ce qui lui revient, qu’il le fasse avec compétence et humilité. Dans la liturgie, je découvre que ce qui glorifie Dieu c’est moins ma ferveur du moment que l’amour en acte, c’est-à-dire qui se donne la peine de construire la communauté.

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    c) La prière comme parole reçue

    Le chrétien n’invente pas sa prière. Convoqué par Dieu, membre du Peuple de Dieu dans l’assemblée liturgique, il expérimente la prière comme parole reçue. « Comme nous l’avons appris du Seigneur » invite l’introduction au Notre Père, paroles reçues, ce trésor des louanges de l’Église, paroles reçues, les psaumes. En participant à la liturgie, j’apprends de l’Église ma langue maternelle, celle de mes Pères dans la foi.

    Un exemple : les psaumes. Ces psaumes assument au niveau de la foi toute l’expérience humaine. Ils sont pour ceux qui les prient comme un miroir les révélant à eux-mêmes. Mais parce que les psaumes sont des mots de Dieu pour la prière, ils disent bien souvent des choses qui ne sont pas vraies de nous, mais seulement de Celui qui a dit que les psaumes parlaient de Lui, Jésus (Lc 24).

    Grâce aux psaumes, à la vérité de leurs cris et de leurs questions, l’être caché au fond du cœur s’éveille, remue, et, explique Cassien, ces paroles « ne nous font pas l’effet d’être confiées à notre mémoire, mais nous les enfantons du fond de notre cœur comme des sentiments naturels et qui font partie de notre être » (Conférence X, 11 : De la prière). Le psalmiste me permet de venir à Dieu tel que je suis. Il m’autorise à prier Dieu en étant en colère, en larmes, dans l’angoisse; il m’autorise à poser à Dieu toutes mes questions. « Pourquoi dors-tu, Seigneur ?...» (Ps 43).

    La psalmodie, comme acte vocal, engageant l’esprit et le corps, devient une psalmothérapie ! Grâce aux psaumes, j’expérimente qu’il y a un passage, de la plainte à la louange, de l’angoisse à la mise au large, de la peur à la confiance. Ce passage, c’est celui de Jésus en la personne humaine.

    La prière des psaumes me donne aussi, comme disciples de Jésus, de lire dans les psaumes l’annonce et la réalisation de ses mystères, d’y entendre sa voix et sa prière. Saint Augustin entendait dans le psautier la prière du Christ total, Tête et membres : « Ne dis rien sans Lui, et Lui, ne dira rien sans toi ».

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    2) La liturgie : école d’humanité ou d’humanisation

    Offrir nos corps

    Le psaume 39, repris dans la Lettre aux Hébreux, nous enseigne sur le culte qui plaît à Dieu : « Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation mais tu m’as façonné un corps. Tu n’as agréé ni holocauste ni sacrifice, alors j’ai dit : Voici je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté. »

    C’est par l’oblation du corps de Jésus, de son corps écoutant et obéissant que nous sommes sanctifiés, recréés à l’image et à la ressemblance de Dieu.

    Le premier instrument de la liturgie, le seul sacré, le seul nécessaire, c’est le corps de chacun. « Au dernier pas de création, viens faire l’homme eucharistie », chante une hymne de Patrice de la Tour du Pin. La liturgie est justement cette école d’apprentissage de la personne humaine eucharistique qui fait de son corps « une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm 12,1) :

    • elle éduque à une certaine manière de se tenir, d’être là dans le corps que je suis,
    • elle éduque à une certaine manière d’être ensemble, de faire corps.

    Quand on aborde la liturgie de façon concrète et pratique, on est d’abord étonné de la multiplicité des postures, des gestes, des déplacements qu’elle propose, et dans leur simplicité même, de la discipline corporelle que ces gestes exigent, une discipline qui engage le corps dans une aventure intérieure.

    La liturgie de l’Église s’exprime par ces corps qui marchent pour entrer au chœur, à l’église, porter les offrandes, recevoir la communion, qui se lèvent pour écouter l’Évangile, qui s’assoient pour psalmodier, qui s’inclinent par honneur et révérence à la Trinité sainte ; des mains qui se tendent pour recevoir le Corps du Christ ; des bouches qui s’ouvrent pour lire la Parole de Dieu, chanter les psaumes, manger et boire le corps et le sang du Christ...

    La liturgie de tous ces gestes humains nous apprend que la rencontre avec Dieu se situe au croisement de notre corps et de notre âme. Chercher à les accomplir consciemment, c’est travailler à harmoniser, à réconcilier l’extérieur et l’intérieur de nous-mêmes, de nous unifier. Les gestes de Jésus sont l’expression parfaite de son attitude intérieure et les disciples peuvent le reconnaître à un geste qui récapitule toute son existence : « Ils le reconnurent à la fraction du pain » (Lc 24).

    Une bonne posture, durant la liturgie, demande souvent discipline personnelle, courage, lutte contre la nonchalance : «Hommes droits, à vous la louange !», s’exclame le Ps 32. L’attitude juste devient un témoignage rendu à l’humanité façonnée par les mains de Dieu. Il y a toute une éducation des gestes, dans la liturgie, et même une rééducation qui engage bien plus que le corps. Nos démarches saccadées, nos raideurs parlent et nous trahissent. Voici ce geste si bienfaisant du signe de la Croix qui ouvre chacune des célébrations. C’est la Croix qui nous sauve et nous guérit. « Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche proclamera ta louange » : les premiers mots de la prière chaque matin sortent de notre bouche quand nous traçons sur nos lèvres le signe de la croix.

    Le rituel engage aussi une manière de vivre ensemble faite de courtoisie, de respect mutuel, et aussi de volonté de faire corps. La liturgie éduque à la politesse et à la vie commune. Déjà, Cassien précise des recommandations qu’on croirait superflues aujourd’hui : «...lorsqu’on est rassemblé pour la sinaxe, écrit-il, on ne tousse pas, on ne baille pas d’envie de dormir, on ne pousse aucun gémissement ni aucun soupir qui puisse gêner les autres » (Les Institutions, II, 10). Être attentif à ne pas gêner les autres : voilà une règle d’or qui est à la base de la morale chrétienne ! Et qu’il faut compléter aussi par celle-ci : vouloir faire place à l’autre, se rendre sensible à sa présence. Les attitudes communes que tous les participants doivent observer sont un signe de la communauté et de l’unité de l’assemblée. « C’est là le sacrifice des chrétiens, que nous qui sommes nombreux nous formions un seul corps dans le Christ », écrivait saint Augustin (La Cité de Dieu, livre X, 6).

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    3) La liturgie : école de la méditation contemplative, ou source de la « lectio divina ».

    En présentant aux fidèles avec plus de richesse la table de la Parole de Dieu, que ce soit à la Messe ou à l’Office divin, le Concile a cherché à promouvoir « le goût savoureux et vivant de la sainte Écriture ». Laisser la Parole de Dieu nous atteindre au plus intime, à la manière d’une nourriture, pour en nourrir notre vie, c’est bien ce que nous cherchons dans la « lectio divina ». Dans la liturgie, l’Église nous fait faire l’apprentissage de cette lecture croyante, contemplative et « priante ».

    Une lecture liturgique

    L’Église célèbre comme elle croit. De fait, dans la liturgie, le livre de la Parole est entouré de la même vénération que le Corps eucharistique de Jésus. C’est dire que l’Écriture contient des mots qui sont le tabernacle de la Parole vivante et efficace «des mots qui parlent aujourd’hui et nous façonnent» comme le chante une hymne. Au moment de la lecture de l’Évangile, les fidèles l’accueillent debout par le chant de l’Alléluia, et par les acclamations avant et après la lecture, reconnaissent que c’est le Christ qui leur parle.

    Une lecture christologique

    Dans la liturgie, la table de la Parole de Dieu est toute préparée. L’Église a eu le souci d’une lecture concertante des deux Testaments. « Dei Verbum # 16 » nous enseigne : « Dieu en effet a sagement disposé les deux Testaments de telle sorte que le Nouveau soit caché dans l’Ancien et que, dans le Nouveau, l’Ancien soit dévoilé ». Par là nous est remise la clé d’interprétation de l’Écriture, celle que Jésus lui-même a donnée aux disciples d’Emmaüs : toutes les Écritures parlent du Christ et de son mystère pascal. C’est aussi la lecture christologique des Écritures qui commande le choix de certains livres selon les temps liturgiques, la lecture d’Isaïe durant l’Avent par exemple.

    Une lecture “priante”

    La liturgie initie à l’art de cette conversation qu’est la « lectio divina » : on y apprend à écouter, à accueillir, à retenir cette Parole, en la méditant dans son cœur (c’est le rôle des silences), à transformer la lecture en prière et en contemplation, par le chant du répons ou des psaumes.

    Une lecture “aujourd’hui”

    C’est aux étapes de la route quotidienne que la Parole de Dieu nous atteint, aujourd’hui, à tel moment, dans telle situation, qu’elle éclaire notre chemin comme une lampe (Ps 118, 105), qu’elle nous arme pour le combat spirituel (Ep 6,17).

                                                Cette partie s’inspire de l’article : « Lex orandi, lex vivendi », rédigé par sœur Étienne Reynaud de l’abbaye de Pradines,                                          paru dans la revue « Liturgie » en 1990

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

     La liturgie : source de la vie spirituelle 

    La vie spirituelle signifie cette vie nouvelle que le chrétien a reçue au baptême et qui doit se développer toute sa vie jusqu’à la mort. Cette vie est un dynamisme qui se déploie durant toute notre vie, et ce dynamisme est celui de l’Esprit-Saint. La vie spirituelle, c’est donc bien ce mouvement profond qui jaillit du cœur de la personne humaine habitée et animée par le Souffle divin, lui qui la forme en vue d’une vie participante de celle de Dieu.

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    1) La liturgie donne la « forme » de la vie spirituelle

    La liturgie forme à la vraie vie spirituelle, en ce sens que celle-ci devra toujours être en conformité avec les quatre dimensions du baptême :

    • sacrement de la foi
    • entrée dans l’Église universelle
    • naissance à la vie de Dieu
    • participation à la mort et à la résurrection du Christ Jésus.

    a) Une vie dans la foi :

    « Au plan théologal, la foi n’est pas une opinion, mais la réponse ... à la révélation de Dieu, dans une Parole, à la fois la plus incarnée et la plus spirituelle qui soit et qui se propose comme une Alliance ».

    L’expérience spirituelle fondamentale est celle du baptême qui est une expérience dans la foi, régime de la foi qui est celui de notre condition terrestre jusqu’à l’instant de notre mort où nous serons appelés à poser l’acte de foi le plus décisif : adhésion de tout notre être au Dieu des vivants et abandon dans la confiance.

    Dans la liturgie de ses oraisons, l’Église considère la foi comme un don qui doit grandir : « Seigneur, nous célébrons de tout notre cœur la naissance de ton Fils : accorde-nous la grâce d’approfondir notre foi en ce mystère et d’y trouver la force d’un meilleur amour » (Noël, messe de l’aurore). Presque toutes les oraisons de la liturgie demandent la grâce, cette grâce qui nous forme à la vie même de Dieu, nous conforme à la vie du Fils, à la sainte volonté du Père.

    b) Une vie en Église

    La vie spirituelle, certes, est éminemment personnelle, puisque c’est chaque personne qui est appelée à avoir une relation vivante avec le Dieu-Père qui en fait son fils et sa fille en son Fils. Mais le baptême « est le lien sacramentel d’unité existant entre tous ceux qui en ont été marqués » dit le rituel du baptême. La vie spirituelle de chaque baptisé est donc une vie en Église puisque désormais, qu’il en ait conscience ou non, qu’il le vive ou non, il fait partie de l’Église, il est dans l’Église, il est l’Église. Dans la préface de la fête de la Dédicace des Églises, chaque baptisé est une pierre vivante animée par le Saint-Esprit : voilà le fondement de sa vie spirituelle.

    c) Une vie de participation à la vie même de Dieu

    Le rituel du baptême nous situe ainsi : « on invoque la Sainte Trinité sur ceux qui vont être baptisés : marqués de son Nom, ils lui sont consacrés et ils entrent en communion avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit ». Une vie spirituelle formée par la liturgie est une vie trinitaire en mouvement qui entraîne le croyant au cœur même de la vie divine. Une vie spirituelle alimentée par la liturgie est donc bien une communion avec la Sainte Trinité, une participation à sa vie. Le croyant se laisse de plus en plus transformer par l’Esprit, en laissant cet Esprit agir en lui pour qu’il vive vraiment en fils, en fille de Dieu, en s’ouvrant à cet Esprit pour que toute sa vie devienne une louange à la gloire du Père.

    d) Une vie pascale

    Le rituel du baptême nous enseigne encore à ce sujet : « Les baptisés, devenus un seul être avec le Christ par une mort semblable à la sienne, et ensevelis avec lui dans la mort, sont aussi revivifiés en lui et ressuscités en lui ». Lorsque la liturgie imprègne la vie spirituelle du croyant, celui-ci entre dans le dynamisme pascal qui le fait passer de la mort à la vie. Or, la mort peut avoir de multiples formes dans la vie d’un chrétien jusqu’au jour où il est affronté à sa mort.

    Par le baptême, nous passons de la mort du péché à la vie, assure encore le rituel. Cette mort du péché continue son œuvre en nous et notre vie spirituelle est ce passage, par et dans le Christ, d’une expérience de mort à une expérience de vie, par le pardon reçu en Église. Passant jour après jour de la mort à la vie, greffé sur le Christ mort et ressuscité, le disciple de Jésus ose célébrer l’Eucharistie dans laquelle il proclame sa foi au vainqueur de la mort. L’Église a le bonheur de chanter au Temps pascal : « Oui, nous te rendons gloire, car sa mort nous affranchit de la mort, et dans le mystère de sa résurrection, chacun de nous est déjà ressuscité ». Il y a donc un regard pascal qui peut se poser sur le monde. Regard du moine, de la moniale, qui, dans sa solitude même, rejoint ses frères et sœurs en humanité et implore pour eux la venue de l’Esprit. Ce regard pascal est sans cesse purifié par la participation à la liturgie.

    Telle est la forme d’une vie spirituelle qui se nourrit sans cesse de la liturgie : une vie dans la foi, une vie en Église, Peuple de Dieu en marche vers la Jérusalem céleste, une vie qui fait participer le croyant à la vie même de Dieu révélé en Jésus-Christ, du Dieu-Père qui nous donne l’Esprit, une vie pascale qui est un continuel passage de la mort à la vie jusqu’au jour de notre naissance éternelle.

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    2) La liturgie : source d’une vie spirituelle intégrale

    Formée par la liturgie, la vie spirituelle du croyant peut intégrer tout ce qui constitue une vie humaine : c’est en ce sens qu’on peut l’appeler : vie spirituelle intégrale.

    a) Une vie spirituelle qui intègre le temps

    Un des grands risques de toute vie spirituelle est de vouloir ou fuir le temps ou ne pas lui donner toute son importance. La liturgie donne au temps toute sa valeur et tout son poids.

    Il y a tout d’abord le fait que la célébration de la totalité du mystère du Christ se déploie dans le temps, au rythme des jours, des semaines, des années (cycle quotidien, hebdomadaire, annuel). Mais ces cycles proposent sans cesse l’unique événement pascal, ce passage par lequel Dieu, dans le Christ, porte à son achèvement la libération de l’humanité.

    Il y a aussi le fait que le temps est une dimension essentielle de toute célébration liturgique : on prend son temps, on sait la valeur du temps. La liturgie apprend que l’Esprit respecte les rythmes humains.

    Durant la célébration eucharistique, la communion arrive au terme d’un processus qui prépare l’assemblée à recevoir le Seigneur sous les symboles du pain et du vin. Par la liturgie, on apprend que la vie spirituelle doit tenir compte du temps, et l’expérience nous prouve combien nous évoluons durant notre existence.

    b) Une vie spirituelle qui intègre la création

    Un des reproches que l’on fait à celui, celle qui attache beaucoup d’importance à sa vie spirituelle est de s’enfermer dans une expérience qui risque de le séparer du monde et de l’histoire. La participation à la liturgie est sans doute un des moyens les plus efficaces pour échapper à ce risque puisque sans cesse la création tout entière, une création blessée mais déjà sauvée est sans cesse présente à l’assemblée qui célèbre.

    La création est le premier motif d’action de grâce de toute célébration eucharistique. La prière eucharistique chrétienne est louange à Dieu qui a créé l’univers pour l’humanité. Celui qui participe à la liturgie est en étroite communion avec la création et le monde humain car il prie le Père en disant : « Tu as fait l’homme à ton image et tu lui as confié l’univers, afin qu’en te servant, toi son Créateur, il règne sur la création » (Prière eucharistique IV).

    La liturgie apprend au baptisé que cette rencontre avec Dieu, qui est l’essentiel de sa vie spirituelle, se fait toujours dans et à travers des médiations. Vouloir évacuer les médiations dans le désir d’une rencontre immédiate avec Dieu, est une tentation permanente de la personne spirituelle. Mais la liturgie nous redit sans cesse qu’il n’y a qu’un seul Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus, lui qui est le premier-né avant toute créature, lui en qui tout fut créé.

    c) Une vie spirituelle qui intègre tout le mystère humain

    La dignité humaine en tant que créature sortie des mains de Dieu est chantée par la liturgie comme une merveille. Mais cette créature ayant péché, Dieu l’a sauvée d’une manière plus merveilleuse encore : « Père, toi qui as merveilleusement créé l’homme et plus merveilleusement encore rétabli sa dignité, fais-nous participer à la divinité de ton Fils, puisqu’il a voulu prendre notre humanité » (Messe du jour de Noël).

    Créature appelée à la divinisation :

    Dans la préface de l’Ascension, l’Église proclame : « Le Christ est monté au ciel pour nous rendre participants de sa divinité ». Beaucoup d’autres textes nous permettent de découvrir que cette divinisation est une participation à la filiation du Fils unique. De cette filiation découle la fraternité universelle des hommes.

    Personne communautaire : personne unique et particulière mais appelée à vivre en communion avec Dieu et les autres. C’est le mystère de l’Église rappelé sans cesse par sa liturgie. La liturgie est formatrice d’une vie spirituelle qui doit pouvoir exprimer ces deux pôles de la personne.

    Dans un combat spirituel : la personne humaine est sans cesse affrontée au péché, au mystère du mal qui tend sans cesse à la déshumaniser, à lui enlever une part de sa liberté. Par ce combat, notre vie spirituelle communie à tous nos frères humains engagés eux aussi dans une lutte ardente contre toutes les formes du mal qui provoque tant de blessures en eux et entre eux. Les célébrations liturgiques proclament que le Christ a déjà remporté la victoire et que, par le baptême, nous sommes déjà victorieux en Lui et avec Lui, mais elles disent aussi que cette victoire définitive est encore à venir. La vie spirituelle sera toujours un combat spirituel qui, grâce à la liturgie, devient un combat éclairé par l’espérance.

    Sujet inspiré par l’article « Liturgie et vie spirituelle », du frère Paul Houix, abbaye de Timadeuc, paru dans la revue « Liturgie », novembre 1989

     * 24 - Liturgie et recherche spirituelle

    Liturgie et oraison

    Entrer, demeurer dans le mystère de la liturgie, c’est comme l’entrée dans l’oraison quotidienne. Une démarche semblable d’abandon et de confiance en Celui qui nous fait advenir à ce que nous sommes. Notre vocation divine transforme et entraîne notre vocation humaine qui lui est assujettie depuis toujours.

    Nombreux extraits du 6ème thème de « ressourcement » publié sur le site du Monastère Sainte-Claire de Salaberry-de-Valleyfield

    Synthèse de recherches proposée par les Frères André et Jean-Paul, Chevaliers de la Sainte-Croix de Jérusalem

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    Références :

    https://eglise.catholique.fr/glossaire/spiritualite/

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Spiritualit%C3%A9

    https://mon.astrocenter.fr/voyance/mag/spiritualite-definition

    https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/metaphore/

    https://www.wemystic.fr/difference-religion-et-spiritualite/

    http://www.dioceserimouski.com/ipar/pdf/pretot07.pdf

    http://www.clarissesval.ca/la-liturgie-ecole-de-la-foi-6ieme-theme

    Magnificat du mois de juillet 2020 n° 332 pages 2 à 7


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