• * 6. Moines guerriers, une caste hybride

    Travaux de la Commanderie de Saint-Léger

    La vie monastique

    Travaux initialement prévus pour le Chapitre du 20 mars 2020

    Nous allons à présent laisser notre Frère Écuyer Freddy approfondir un peu la question de ces moines guerriers Templiers qui formaient, selon lui, une caste hybride.

     * 6. Moines guerriers, une caste hybride

    6. Moines guerriers, une caste hybride

    6.1. Les Ordres et leur contexte historique et religieux

    Défendre la communauté chrétienne et lutter contre « l'infidèle », tels furent les missions de la chrétienté médiévale. Comment remplir celles-ci ? En créant des institutions originales : des ordres à la fois religieux et militaires, sortes de corporations hybrides alliant des valeurs a priori antagonistes.

    Leurs membres vivaient comme des moines selon une règle, celle de Saint-Benoît ou de Saint-Augustin, sans pourtant être tout à fait des moines puisque dans le même temps, ils se comportaient comme des chevaliers, non pas comme ceux de la caste aristocratique, toujours prêts à en découdre, mais comme des chevaliers du Christ, revêtus de l'armure de fer et de l'armure de la foi.

    Favorisés par les Croisades, ces ordres se sont répandus en Terre Sainte, en Espagne et sur les rives de la Baltique. Au cours de la même période, les monarchies se sont progressivement affirmées face au pouvoir pontifical et firent preuve d'une méfiance grandissante à leur égard.

    En fin de compte, ces ordres perdirent peu à peu de leur vitalité originelle et furent graduellement poussés vers une reconversion caritative.

    6.2. L'idéal des premiers Templiers

     * 6. Moines guerriers, une caste hybride

    En 1128, après son retour de Terre Sainte, Hughes de Payns se lança à la recherche de soutiens en faveur du nouvel Ordre du Temple dont il était le cofondateur avec Godefroy de Saint-Omer. Né aux environs de 1080 à Payns, village situé du côté de Troyes, ce chevalier appartenait à une Maison rattachée au Comte de Champagne et au futur saint Bernard de Clairvaux.

    Dès son plus jeune âge, l'éducation militaire d'Hughes le prédisposa à son futur rôle de chevalier mais c'est au cours de son adolescence qu'il fut frappé par le caractère sublime de la vie monacale et la beauté des cérémonies religieuses. Dès sa vingtième année, il rejoignit la Première Croisade pour y faire la rencontre de jeunes croisés qui partageaient les mêmes aspirations que les siennes.

    Imaginons l'état d'esprit de ces jeunes baroudeurs ardents et braves : engagés comme moines-guerriers dans une Guerre Sainte qui enflamme leur idéalisme, ils sont prêts à sacrifier leur vie pour libérer le Saint Sépulcre. Instinctivement, ils sentaient que ce projet était nettement plus transcendant que la vie mondaine et indolente à laquelle ils étaient prédestinés. L'Ordre du Temple répondait exactement à leurs aspirations profondes : il donnait un sens à leur vie et leur en promettait une autre, de vertu et de pureté.

    Toutefois, un sérieux problème éthique menaçait cette belle aventure : l'incompatibilité quasi indécente entre la vie religieuse et l'emploi des armes. Dans la société de cette époque, il était immoral de verser le sang tout en étant un serviteur de Dieu.

     * 6. Moines guerriers, une caste hybride

    Le puissant abbé cistercien Bernard de Clairvaux se chargera de résoudre ce qui pouvait être considéré comme la quadrature du cercle. Par quel tour de passepasse ? Grâce tout simplement à son important réseau relationnel.

    Il écrivit des lettres aux rois, aux papes et aux évêques. Il rédigea par ailleurs plusieurs traités de théologie, d'esthétisme ainsi que sur la chevalerie chrétienne. Il prêcha dans toute l'Europe, dans les plus hautes cours et les monastères. Il parla du Christ et de la Vierge Marie d'une manière à la fois candide et militaire. Il exprima, de la plus érudite des manières, ce que la société médiévale embarquée dans les Croisades voulait entendre.

    Les interventions de Bernard font mouche. Le 13 janvier 1129 au Concile de Troyes, le pape accorde son soutien au jeune chevalier en présence de nombreuses personnalités religieuses. Le réalisme politique l'emporte donc sur la doctrine et la réussite de cette ambitieuse entreprise semble assurée.

    Cependant, Bernard de Clairvaux, par ses origines, ne connaissait que trop bien les habitudes de vie de la chevalerie et il doutait que de telles habitudes puissent se concilier avec la nature d'un ordre religieux. Le chevalier laïc était arrogant ; il aimait le luxe ostentatoire. Agressif et violent, il faisait preuve de mépris à l'égard de la vie humaine. Comment imaginer que les chevaliers pourraient renoncer du jour au lendemain à un style de vie auquel ils s'étaient accommodés depuis leur enfance ?

    Bernard, qui connaissait le pouvoir de l’obéissance et de l’ascèse, et Hughes de Payns, qui avait vécu de près les souffrances des pélerins, ont trouvé une solution qui porta ses fruits et que je résume comme suit :

    • isoler ceux dont le sentiment religieux paraissait le plus affirmé ;
    • les endoctriner et les préparer à la vie dans le nouvel ordre en suivant un long parcours de discipline, extrêmement rigide.

    Par ailleurs, le Concile de Troyes fut une excellente occasion pour discuter de la constitution de cet ordre religieux et militaire. Il ne s’agissait pas uniquement et simplement de créer un corps militaire guidé par des valeurs religieuses. Il fallait trouver le moyen de lui donner une existence canonique qui habiliterait les Frères de cet ordre à guerroyer et à tuer. En outre, cet ordre devait impérativement rester le sujet exclusif de l’Église pour éviter qu'il ne tombe sous le contrôle d’un pouvoir laïque. Ceci explique pourquoi il prit la forme d’un ordre monastique.

    Avec la bulle « Omne Datum Optimum » publiée en 1136 par le pape Innocent II, par ailleurs grand admirateur et protecteur de l'Ordre, les Templiers finirent par répondre de leurs actes uniquement devant le pontife en personne.

    Le soutien du pape et la campagne de propagande menée lors de la première Croisade font boule de neige. Gagnés par l'enthousiasme ambiant, les milieux les plus puissants de l'époque se rallient à l'Ordre. S'en suivirent d'importantes donations : monastères, châteaux, autres bâtiments, etc., qui assurèrent la base de la future économie de l'Ordre. Un réseau de Commanderies est mis en place. Elles sont chargées de fournir chevaux, guerriers et tout l'argent nécessaires à l'action en Terre Sainte. A l'époque des Croisades, l'Ordre prit ainsi la forme d'un conglomérat économique multinational de grande taille.

    Toutes ces conditions étant ainsi réunies, l'Ordre du Temple pouvait passer à l'action. Appuis politiques, protection du pape et sécurité financière lui ouvraient les portes du succès. Il ne manquait plus que des Règles – un Règlement d'Ordre Intérieur, dirions-nous de nos jours – pour que le nouvel Ordre devienne opérationnel sur le terrain. Bernard de Clairvaux se chargea de coordonner leur élaboration.

    6.3. Les règles des Templiers

    Je l'évoquais dans mon introduction, le statut hybride du moine/soldat a été le point de départ à l'élaboration des règles de fonctionnement de l'Ordre par Bernard. Au final, ce statut est devenu une sorte de « cocktail » de règles administratives, religieuses et militaires concoctées sur mesure pour doter l'Ordre de la meilleure efficacité possible.

    En 150 ans, le texte évolua tellement souvent qu'il finit par être composé de près de 700 articles, ce qui en fit un véritable casse-tête juridique. Voir clair dans un tel statut n'est pas une sinécure, surtout lorsqu'on prend en considération le fait que les monastères de l'époque n'étaient pas seulement des lieux de culte et d'entraînement militaire, mais aussi des fermes et des casernements, constituant de véritables centres agricoles et d'élevage implantés sur des territoires étendus comportant de nombreux paysans.

    Tentons maintenant d'examiner ensemble les règles des Templiers sous leurs différents aspects : hybride, militaire et religieux. La distinction n'est pas toujours simple, ces trois « sous-statuts » étant intimement imbriqués les uns dans les autres.

    6.3.1. Le caractère hybride des règles

    Je viens juste de le mentionner : un texte très méticuleux organise dans les moindres détails tous les aspects religieux et militaires de la confrérie. Conséquence d'une telle minutie : un nombre invraisemblable d'articles réglementaires qui dénotent d'un jusqu'au-boutisme et d'une méticulosité sans pareille.

    Premier constat, et non des moindres, ce texte a des répercussions directes sur les membres de la confrérie :

    • Ceux-ci ne disposent d'absolument aucune liberté sur le terrain.
    • Ils ne peuvent prendre aucune initiative et sont astreints à une obéissance quasi aveugle.

    Cependant, tout compliqué qu'il fût, ce texte comporte indéniablement des avantages pour la bonne marche de l'organisation, notamment :

    • Il garantit au monastère une gestion financière efficace en tant qu'entité économique. En effet, il n'aurait pas été possible de maintenir une structure militaire telle que celle de l'Ordre du Temple sans une structure économique solide.
    • Il donne à l'armée chrétienne de cette époque un caractère innovant d'homogénéité qu'elle ne possédait pas auparavant en raison de l'individualisme à outrance du chevalier médiéval.
    • Toutes les ressources de l'Ordre sont organisées en provinces avec un commandeur à leur tête. A son apogée, l'Ordre gouvernait six provinces : trois au Proche Orient, à Antioche et à Tripoli ; sept en Europe (France, Grande-Bretagne, Poitou, Aragon, Portugal, Hongrie et Apulie – actuellement les Pouilles).

    6.3.2. Les règles à caractère militaire

    Comment était organisée la réception des postulants dans l'Ordre ?

    Ce sont les Commanderies qui ont assuré de façon permanente le recrutement des frères de l'Ordre, un recrutement qui devait être le plus large possible.

    Ainsi, les hommes laïcs de la noblesse et de la paysannerie libre pouvaient également prétendre à être reçus au sein de l'Ordre, à la stricte condition de répondre aux critères exigés.

    En premier lieu, l'entrée dans l'Ordre se faisait sur base du volontariat et de manière gratuite. La motivation du candidat était absolument indispensable car le noviciat n'était pas considéré comme période d'essai.

    L'entrée se faisait de manière directe par la prononciation des vœux. Ceux-ci étant prononcés, l'entrée dans l'Ordre devenait immédiatement définitive, c'est-à-dire à vie.

    Le candidat pouvait être pauvre puisque, avant toute chose, il faisait don de lui-même.

    Les principaux critères étaient les suivants :

    • Être âgé de plus de 18 ans (la majorité pour les garçons était à 16 ans) (article 58).
    • Ne pas être fiancé (article 669).
    • Ne pas faire partie d'un autre ordre (article 670).
    • Ne pas être endetté (article 671).
    • Être en parfaite santé mentale et physique (ne pas être estropié) (article 672).
    • N'avoir soudoyé personne pour être reçu dans l'ordre (article 673).
    • Être homme libre (le serf d'aucun homme) (article 673).
    • Ne pas être excommunié (article 674).
    • Le candidat était prévenu qu'en cas de mensonge prouvé, il serait immédiatement renvoyé. « … si vous mentiez, vous en seriez parjure et en pourriez perdre la maison, ce dont dieu vous garde». (Extrait de l'article 668).

    Parmi la multitude des dispositions diverses réglementant la vie du Temple, j'en ai relevé quelques-unes qui, si besoin était, vous convaincront qu'on n'y entrait pas pour faire du tourisme :

    • Les chevaliers devaient manger dans le réfectoire en gardant le silence tout en écoutant des textes sacrés.
    • Les femmes n'étaient pas admises et il était interdit d'avoir des relations avec elles.
    • La tenue vestimentaire était austère, fonctionnelle et stricte sur tous les points. Elle excluait toute forme de bijoux et d'ornements en or ou en argent.
    • Le Grand-Maître était habilité à contrôler tous les biens des Frères. Il exerçait une autorité totale sur l'Ordre.
    • Si l'un des membres tombait malade, il était dispensé des cérémonies religieuses mais devait néanmoins assister aux prières quotidiennes.
    • Chasser était interdit, sauf la chasse au lion.
    • Sauf autorisation spéciale du Grand-Maître, il était interdit de détenir une bourse, un coffre qui fermait, et de recevoir du courrier de qui que ce soit, même de ses parents.
    • Le Frère qui commettait un écart devait se présenter devant le Grand-Maître et prier pour sa pénitence.
    • En cas d'acte grave, il était banni de la compagnie en attentant la décision du Grand-Maître.
    • Si la faute était très grave et si le Frère incriminé n'exprimait aucun regret, il était banni du troupeau des « pieuses brebis » selon la formule : « Nous devons bannir l'immoral du groupe ».
    • Le pardon ne pouvait être plus grand que la faute elle-même, ni la sanction trop petite pour éviter la récidive.

    Les chevaliers avaient l'obligation de prendre soin de leurs armes et de leur équipement militaire. Un entraînement militaire strict les maintenait en bonne condition physique.

    Le premier repas de la journée était le déjeuner. Il était organisé selon un ordre de préséance. Les chevaliers et les sergents mangeaient les premiers. Ensuite venaient les écuyers, les serviteurs et les turcopoles (cavaliers mercenaires originaires de Syrie).

    Selon la règle, deux chevaliers devaient manger ensemble dans un seul plat, mais chacun possédait un petit bol, une cuillère et un couteau à pain.

    Le repas se déroulait dans le silence et il était interdit de quitter son siège avant la fin, sauf en cas d'appel aux armes, de saignement de nez ou pour s'occuper de chevaux malades.

    Dans l'après-midi, les chevaliers avaient l'obligation de continuer à assurer leur travail habituel mais ils devaient prévoir de prier aux petites heures.

    Quand les dernières sonneries de cloche sonnaient les complies, la communauté tout entière se dirigeait vers la chapelle et le commandant en chef et le chevalier commandeur donnaient leurs instructions aux écuyers pour le jour suivant.

    Après avoir pris soin des étables et des animaux, les Frères se retiraient pour dormir.

    6.3.3. Les règles à caractère religieux

    Les vœux d'obéissance monastique donnaient à l'Ordre son caractère religieux. Toute mauvaise conduite ou tout acte d'insubordination était considéré comme un péché dans l'esprit du templier.

     * 6. Moines guerriers, une caste hybride

    La Règle des Templiers s'inspirait directement de la Règle de saint Benoît. Elle reposait également sur des concepts adoptés lors du Concile de Troyes par Hughes de Payns. Les idéaux religieux issus de l'idéologie de saint Bernard de Clairvaux et des moines cisterciens en constituaient l'assise fondamentale.

    D'une manière générale, ces règles étaient inspirées par une discipline drastique qui constituait à la fois le squelette et le cœur du système.

    Parmi les multiples articles et dispositions, certains méritent d'être mis en lumière :

    • Les postulants étaient acceptés pour une période probatoire. Ils obtenaient l'autorisation d'exprimer leurs aspirations «avec un cœur pur» devant le conseil de la confrérie pour autant que le Grand-Maître et les Frères fussent satisfaits.
    • L'Ordre était considéré comme une émanation des Saintes Écritures et de la Divine Providence née en Terre Sainte. Pour cette raison, ses membres pouvaient tuer n'importe quel ennemi de la Croix sans commettre un péché. Ils pouvaient posséder des terres et des esclaves, des vilains et des champs, et les gouverner en toute justice.
    • Comment se déroulait la vie quotidienne dans un monastère ?
    • A minuit, sonnerie des « matines » : les Frères se lèvent, mettre leurs chausses et revêtent un manteau pour assister aux cérémonies religieuses (récitation de treize « Notre Père »).
    • Ensuite, entretien des écuries et « autres tâches nécessaires». Ce travail terminé, récitation d'un autre « Notre Père » avant de retourner se coucher.
    • A prime (première sonnerie) : les Frères s'habillent et assistent à la messe. Quand celle-ci est terminée, ils accomplissent leurs devoirs à caractère militaire.

    6.4. Conclusion provisoire

    L'objectif de mon parchemin est de susciter une réflexion d'ordre éthique actualisée, en suivant différentes pistes :

    • La ligne de pensée chrétienne a toujours fait montre d'une attitude de refus vis-à-vis des professions guerrières. Jamais l'église n'a compté d'hommes de guerre dans ses rangs.
    • La religion et la politique ne sont-elles pas des « sphères de valeurs » ou des « ordres de vie » distincts ?
    • N'y a-t-il pas un risque de relation conflictuelle entre les valeurs religieuses universalistes et les lois autonomes de la politique ?
    • De nos jours, peut-on envisager une séparation complète entre le religieux et le politique ?
    • Dans notre monde moderne, le complexe religion-politique ne se trouve-t-il pas unifié par le biais de la notion de société où il forme une unité dans laquelle la société/collectivité et la morale, le religieux et le politique se trouvent unis ?
    • L'universalisme religieux et la montée des particularismes.

    A l'époque des moines-soldats, de forts courants politiques et religieux s'opposèrent à la création de l'Ordre du Temple. Si cette vaste entreprise a pu finalement aboutir, c'est en en très grande partie grâce à l'influence et l'entregent de Bernard de Clairvaux et à son activité inlassable – son lobbying, dirait-on dans le langage moderne – auprès de la papauté.

    Le rôle hybride des Templiers prit fin en 1291, lorsqu'ils s'installèrent à Chypre suite à la chute de Saint-Jean d'Acre.

    La richesse de l'Ordre provoquait jalousie et méfiance de la part de certaines puissances européennes. Une méfiance apparemment justifiée car, au 13ème siècle, l'Ordre du Temple avait la capacité de rassembler une armée de 15 000 hommes bien équipés et unifiés sous un commandement unique. Aucune autre puissance n'était capable de rivaliser sur ce terrain-là.

    Frère Écuyer Freddy – avril 2019

    Sitographie :

    https://stravaganzastravaganza.blogspot.com/2013/02/les-templiers-legendaires-moines.html

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Hugues_de_Payns

    http://templarii3m.free.fr/doc_templiers.htm

    Bibliographie :

    Thierry PF Leroy, Hugues de Payns, Édition de la Maison du Boulanger, 2001

    Max Weber & Émile Durkheim, Religion et politique

    Texte traduit pour Trivium – Revue franco-allemande de sciences humaines et sociales

    Lien vers « le rôle des Templiers »


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