• * De l'immortalité de l'âme

    De l'immortalité de l'âme

    Lors de la cérémonie de Réception au grade de Novice, j’avais précisé, comme ce le fut également dans ma lettre de motivation, le désir personnel d’une recherche accrue de spiritualité dans le cadre idéal, à mes yeux, de notre Ordre. Le sens du travail que j’ai le plaisir et l’honneur de vous présenter ici s’inscrit dans cette quête permanente en tentant de répondre à certaines questions existentielles car, dans notre foi profonde, nous sommes tous censés croire à l’immortalité de l’âme.

    Qu’est-ce que l’être humain ? Un corps simplement, une âme ou un composé des deux ?

    Les préoccupations de l’humanité sur la nature de l’âme et le sort qui lui est réservé au terme de la vie sur Terre réapparaissent dans toutes les croyances et dans toutes les religions à travers les siècles. La question de l’âme présente une actualité intemporelle incontestable, elle pose de nombreuses interrogations sur l’existence, les causes de la vie, le sens de la mort.

    Presque tous les peuples, dès l’aube de l’humanité, se sont fait une très haute idée de l’âme et de son immortalité. Sa survie était fréquemment représentée par l’existence d’un monde parallèle à celui des vivants. L’homme de Neandertal lui-même enterrait des aliments et des armes avec le corps du défunt, convaincu qu’il aurait à s’en servir dans l’au-delà.

    A mesure que progressait la civilisation, la notion d’âme devint de plus en plus raffinée. De nombreuses tribus croyaient et croient encore actuellement que l’âme mène une existence séparée du corps, du temps même de son vivant. L’on pensait que l’âme d’un malade s’était momentanément enfuie ou avait été dérobée. On menait alors le malade au chaman ou à l’homme-médecine afin qu’il capture l’âme et la restitue à son corps : seul un chaman y était habilité, car il avait seul le pouvoir de quitter son corps et d’aller dans le royaume des esprits pour en ramener l’âme errante.

    Pour sir Edward Tylor, professeur d’anthropologie à Oxford au siècle dernier, ces croyances primitives sont la source des religions ultérieures, qu’elles soient fétichistes, polythéistes ou monothéistes. En 1871, il conçut la notion d’ « animisme », en tant que « doctrine des âmes et autres esprits en général ». Aux yeux de Tylor, l’animisme avait doté d’une âme tous les objets, animés ou non (entre autres les arbres, les rochers, les cours d’eau, les astres) censée leur insuffler la vie et le mouvement.

    Son œuvre démontre à l’évidence l’intérêt de nos ancêtres pour l’âme et sa localisation. D’aucuns étaient convaincus que le sang constituait à la fois le véhicule et la substance de l’âme. L’historien grec Hérodote raconte que les Scythes, peuple nomade d’Asie centrale, buvaient rituellement le sang de leurs victimes afin d’en assimiler les vertus et le courage. Ce breuvage était parfois servi dans un crâne humain, en raison sans doute de la croyance localisant l’âme dans la tête et le cerveau. Chez les Aztèques, par exemple, la décapitation constituait un élément essentiel d’un rituel au cours duquel les victimes étaient sacrifiées aux divinités.

    Pour d’autres cultures, le siège de l’âme ne se trouvait ni dans le sang ni dans la tête, mais dans la respiration, le souffle, une croyance probablement justifiée par l’arrêt de cette fonction lors du décès. Les peuplades des îles Marquises et de la Nouvelle-Calédonie avaient coutume d’obturer le nez et la bouche des agonisants pour tenter de les maintenir en vie, empêchant ainsi leur âme de s’envoler.

    Mais c’est dans l’Egypte ancienne que le concept d’âme trouva sa formulation la plus complexe et la plus nuancée. En réaction à la terreur de la mort, ressentie comme un arrêt brutal des joies et des plaisirs d’ici-bas, et à l’anéantissement de toute beauté, les Égyptiens puisaient un réconfort dans leur croyance à la résurrection et à une vie bienheureuse dans l’au-delà, au cours de laquelle leur corps et leur âme seraient préservés dans leur intégrité. Le culte d’Osiris conforta les Égyptiens dans leur espérance dans la résurrection : le corps devait être préservé dans sa pureté et son intégrité physique après le décès, par le rite de la momification, afin de permettre l’éclosion de l’âme.

    Mais comparée à celle des Grecs de l’Antiquité, la vision égyptienne de la mort et de la putréfaction qui en résulte apparaît presque réconfortante. En effet, pour les Grecs, la perspective de la mort n’offrait comme consolation qu’un tourment éternel. A l’époque d’Homère, ils ne croyaient qu’au châtiment pour celui qui avait offensé les dieux, mais nulle récompense pour celui qui avait mené une vie vertueuse. Les exemples abondent de ces damnés expiant dans l’autre monde les fautes commises de leur vivant : Sisyphe, réputé pour sa ruse, fut condamné à rouler éternellement un rocher sur la pente d’une montagne ; le rocher retombait avant d’avoir atteint le sommet et tout était à refaire. Ou encore Tantale, fils de Zeus, qui, pour avoir gravement offensé les dieux, fut précipité dans les Enfers et condamné à une faim et à une soif dévorantes.

    Face à cette conception si désespérée du royaume des morts, les philosophes de la Grèce classique estimèrent nécessaire d’en atténuer l’horreur en y introduisant l’idée de la rédemption et d’une survie de l’âme. De par sa formation de musicien et de mathématicien, Pythagore fut amené à formuler une conception originale de l’âme, en tant qu’ « harmonie des éléments contraires réunis dans le corps ». Il croyait en l’origine divine de l’âme et à la nécessité de la purifier mais il alla plus loin en certifiant la notion de la réincarnation et de la métempsycose, à savoir la survie de l’âme individuelle, indestructible, et à sa renaissance dans un autre corps, humain ou animal. Cette doctrine, connue sous le nom de transmigration, constitue les prémices de nombreuses croyances en la réincarnation. La philosophie de Pythagore marqua une étape importante pour l’évolution de la notion d’âme au sein de la civilisation occidentale. La théorie de la transmigration impliquait le concept d’une essence humaine capable de survivre à la mort du corps et portait en germe la croyance moderne en l’immortalité de l’âme.

    A présent, venons-en au corps même de ce parchemin-exposé.

    Qu’est-ce que l’âme ? Quel est son rapport avec le corps ? Qu’entend-on par immortalité de l’âme ? Ces questions devinrent un des thèmes de prédilection des diverses écoles philosophiques, surtout à partir de la Grèce classique.

    En 399 av. J.-C., un tribunal athénien avait condamné à mort l’un des plus grands penseurs de la Grèce sous le prétexte «d’impiété et de corruption de la jeunesse ».

    L’acte d’accusation était des plus fallacieux : ce qu’on reprochait à Socrate était en réalité ses critiques acerbes et répétées de la classe dirigeante athénienne. En effet, durant sa vie, il n’eut de cesse de révéler à ses contemporains, aveuglés par l’orgueil ou l’obstination, les contradictions de leurs discours par l’interrogation. C’est ce qu’on connaît sous le terme de « maïeutique » : ne pas convaincre quelqu’un par le discours mais le faire « accoucher » de ses propres idées. Cette maïeutique est elle-même indissociable de la dialectique ; c’est par la confrontation des idées de chacun que l’on peut acquérir le savoir.

    Le célèbre « gnôthi séauton » (connais-toi toi-même), précepte gravé sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes, indique que l’exigence de l’homme doit se porter sur sa nature. C’est en se connaissant, en cherchant lui-même, que l’homme peut trouver la sagesse.

    Socrate aurait pu échapper à la mort en fuyant Athènes ou en se montrant plus conciliant et coopératif, mais cela eût constitué une reconnaissance de culpabilité.

    La date fatidique arrivée, Socrate décida de consacrer sa dernière journée à son activité de prédilection : converser avec ses amis et disciples. Sa conversation aborda le thème de l’éternité : qu’y a-t-il après la mort ? Socrate était convaincu que la mort représentait la délivrance de l’âme de sa prison corporelle mais son entourage, profondément affligé, ne faisait pas preuve du même optimisme, un de ses disciples manifestant la crainte de voir l’âme, au moment du trépas, se dissoudre dans le néant. Le débat qui s’ensuivit dura jusqu’aux derniers instants de Socrate ; mais quand le serviteur lui présenta la coupe de ciguë, toute l’assemblée partageait désormais ses convictions quant à l’immortalité de l’âme.

    Parmi les membres de l’assistance se trouvait un jeune Athénien d’origine aristocratique nommé Platon qui suivait depuis une dizaine d’années l’enseignement du philosophe ; sous le coup de l’indignation après la condamnation à mort de son maître, il mit ses paroles par écrit, sous forme de dialogues. En effet Socrate ne prit pas la peine d’écrire ou, du moins, nous n’avons aucune trace avérée de son écriture.

    Notre première question était donc: qu’est-ce-que l’âme ?

    L’âme se définit nominalement comme le principe de la pensée ou le principe de la vie ou les deux à la fois, ce qui pose le problème de son unité, ce qui soulève le problème de son rapport avec le corps en même temps que celui de sa possible immortalité. En effet, si ce rapport est une union réelle, ils seront vraisemblablement solidaires dans leur destin mortel ; inversement pour que l’âme puisse prétendre survivre à la mort corporelle, il faut qu’elle soit d’une nature autre que corporelle, et il devient alors malaisé de penser leur union comme réelle.

    Étymologiquement, « âme » se traduit en grec par le terme « psukhé » qui signifie au sens premier le souffle, la respiration qui est signe de vie. Pour Platon, si l’âme est bien signe de vie, elle est donc porteuse de vie et ne peut être son contraire, c’est-à-dire la mort.

    Platon défendait une vision dualiste de l’être humain, à la fois corps et esprit, ou encore corps et âme. Une telle doctrine impliquait que chaque individu se composait d’une âme incorporelle momentanément emprisonnée dans une enveloppe charnelle. Aux yeux de Platon, l’âme, d’origine divine, est immortelle, intellectuelle, uniforme et indissoluble.

    Platon expose clairement que l’âme n’a pas de parties distinctes (La République) il indique plutôt que l’âme est constituée de trois « principes » ou « entités » : la raison (logos), l’agressivité (thumos) et les désirs (épithumia). Ces trois « principes » sont à comprendre en terme de fonctions et non pas de parties. Ces « principes » sont complémentaires mais non primaires, c’est-à-dire qu’on ne peut les localiser comme des organes dans le corps humain par exemple.

    En cela, il rejoint Socrate pour qui l’âme humaine se partage en trois instances distinctes qui prennent place dans trois parties du corps : au niveau de la tête, la raison qui permet d’acquérir le savoir, au milieu, la colère, qui pousse le cœur à des emportements ; tout en bas, dans le ventre, le désir, qui force à rechercher les plaisirs les plus divers.

    Avant d’aborder la question de l’immortalité de l’âme, regardons le fonctionnement de l’âme et du corps séparément et analysons leur rapport, cela permettra de saisir pourquoi il est possible, selon Platon, d’envisager l’immortalité de l’âme.

    Platon affirme clairement la primauté de l’âme ; elle est, selon lui, la partie la plus haute de l’humain. Elle est encore ce qu’il y a de meilleur en l’homme et qui lui permet de « dépister et saisir ce qu’il y a de meilleur au monde ». Elle est première par rapport à la matière, car « première-née, antérieure à tous les corps ». Ainsi Platon définit l’âme préexistant à son enveloppe mortelle et lui survivant quand elle en est libérée.

    A l’appui de sa doctrine de l’immortalité de l’âme et de sa préexistence, Platon crée la notion de réminiscence : toute connaissance a déjà été acquise et apprendre équivaut à se souvenir. Etant née à plusieurs reprises, l’âme est immortelle et a vu tout ce qui existe, soit dans cette vie ou dans une vie précédente. Comme l’affirme Platon dans le Phédon, l’homme est né avec un acquit de connaissances et de vérités absolues que le monde réel ne peut lui fournir ; c’est donc dans une autre vie, antérieure à sa vie présente, qu’il a dû recueillir cette connaissance.

    Dans le Phédon également, il fait exposer par Socrate sa théorie de la réincarnation : le vivant est engendré par le mort et le mort provient du vivant ; et la vie sur Terre ne représente qu’une étape de l’âme vers le royaume supérieur de l’intelligence pure.

    Platon nous parle du vivant, de l’être, comme étant un composé d’âme et de corps. L’âme est séparée du corps chez Platon pour qui le corps est obstacle à la vraie connaissance que seule peut atteindre l’âme, et pour qui le corps est le « tombeau de l’âme ».

    L’âme est insaisissable, elle ne se révèle à l’humain que par la pensée et non par les sens. Cependant, Platon met tout de même en lumière une certaine communication entre les deux : le rapport de l’âme et du corps est une relation de « servitude et obéissance ».

    Ce rapport a de ce fait un impact considérable sur l’humain. Il y a, selon Platon, un lien avec « la santé ou la maladie et la vertu ou le vice ». Indubitablement, lorsque l’influence de l’âme sur le corps est élevée et négative, c’est la maladie qui s’en suit.

    A l’inverse, lorsque c’est le corps qui assujettit l’âme, il se produit ce que Platon appelle « l’ignorance », car l’homme dans une telle condition fait moins usage de son intellect : il est dominé par les désirs du corps.

    Le remède que Platon propose à cette maladie, « l’ignorance », c’est de prendre soin de l’âme et du corps ensemble ; il est donc clair que le rapport de l’âme et du corps a un impact très important sur l’humain.

    Les exposés précédents sur l’âme et son rapport avec le corps nous ont permis de relever que ces deux entités sont distinctes : l’âme est immatérielle à l’opposé du corps. Cela nous amène à évoquer maintenant l’immatérialité de l’âme, le désir d’immortalité qui est en l’humain, ainsi que le principe divin qui existe dans l’âme, car ce sont des éléments qui expliquent et montrent le principe d’immortalité en l’âme.

    La plupart des philosophes, y compris les présocratiques, s’accordent pour reconnaître en l’âme une caractéristique indéniable, son immatérialité.

    Manifestement, personne ne l’a jamais vue, personne ne peut la toucher, mais chacun est conscient qu’elle est l’essence de l’humain, le principe de vie. L’âme est invisible, insoluble : elle a une identité non changeante contrairement au corps qui est quant à lui visible et possède une identité changeante.

    Pour Platon, chaque fois que nous avons un désir tel l’immortalité, c’est l’âme qui nous attire vers l’objet de ce désir. Il y a un désir d’éternité très fort chez l’humain qui peut se comprendre à travers l’exemple de la faim et de la soif : incontestablement, nous avons faim et soif parce que les aliments et les boissons existent. Pareillement, l’homme désire l’immortalité parce que celle-ci existe.

    Platon expose explicitement que l’âme ressemble au divin tandis que le corps correspond au mortel. L’âme retourne vers l’invisible à la mort du corps, elle retourne à sa nature originelle, à l’objet de sa contemplation, c’est-à-dire Dieu. Il n’y a donc rien de plus divin en l’homme que l’âme.

    L’âme est pour Platon la forme de durée éternelle qui est en l’homme, à l’inverse du corps qui est périssable, mortel. Il explique cela à travers l’exemple du chaud et du froid, du feu et de la neige : ainsi, le chaud ne peut jamais être froid, tout comme la vie ne peut jamais être la mort, et similairement, l’âme qui est vie ne peut être son contraire, c’est-à-dire la mort. Elle est de ce fait immortelle. Pour Platon, « quand une chose meurt d’un mal qui lui est ni propre ni étranger, il est évident qu’elle doit exister toujours, et que, si elle existe toujours, elle est immortelle. »

    Toutefois, l’âme dont la principale caractéristique est d’être immortelle est aussi douée d’un certain nombre de qualités : sagesse, courage et tempérance. Elle est le lieu de toutes les perfections, elle est le bien le plus précieux de l’être, ce qui lui faut sauver à tout prix, et c’est la raison, selon Platon, pour laquelle il préconise la pratique de la vertu.

    La vision dualiste de Platon ainsi que sa doctrine de la réminiscence furent d’emblée adoptées par l’un de ses disciples les plus fidèles et, en tout cas le plus célèbre, Aristote.

    En effet Aristote parle de l’âme comme d’une substance distincte du corps mais en outre, il nous présente leur union comme totalement contraire aux lois naturelles. Mais il finira par s’éloigner de l’enseignement de son maître, remplaçant sa conception du corps et de l’âme par celle d’un corps qui serait plutôt l’instrument de l’âme.

    Son approche se manifeste dans son traité De l’âme, où celle-ci est définie comme le principe de toute vie. L’âme, dit Aristote, n’est ni un feu, comme le voudrait Démocrite, ni de l’air comme le soutenaient Diogène et quelques autres. En revanche, c’est la forme qui vient animer la matière. Elle donne la vie, et n’est vivant que ce qui est doté d’une âme.

    Tout être vivant présupposant l’union d’un corps et d’une âme, la mort du corps entraîne obligatoirement celle de l’âme, car corps et âme sont inséparables jusque dans la mort. Prenant le contre-pied des conceptions platoniciennes, Aristote nie la possibilité de la vie éternelle et de la réincarnation. Seul est immortel celui qu’il appelle « le Premier Moteur », cause première de tout mouvement et des incessantes mutations de l’Univers, ou encore Dieu.

    Cette conception de l’Univers constituait l’antithèse de la théorie dualiste de Platon et ouvrait la voie à toutes les écoles de pensée monistes pour lesquelles l’Univers n’est constitué que d’une seule substance qui est soit la matière (matérialisme) soit l’esprit (spiritualisme).

    Au cours des siècles suivants, philosophes et théologiens choisirent le clan de Platon ou celui d’Aristote. Saint Augustin était, par exemple, un fervent platonicien. A ses yeux, le salut dépendait de la grâce, seule capable d’éclairer l’âme dans son combat contre le corps.

    Saint Thomas d’Aquin se situait à mi-chemin entre les deux : sa doctrine de la résurrection et ses corollaires, la condamnation ou le salut éternels, rappelait à la fois la vision platonicienne d’une âme incorporelle et l’approche aristotélicienne d’une âme unie au corps, tout comme la forme est liée à la matière. Certes saint Thomas rejette la thèse de la préexistence de l’âme, mais il admet que celle-ci puisse vivre séparée du corps et admet son immortalité : « L’âme est immortelle et c’est par son immortalité qu’il nous importe de choisir notre destination (ciel ou enfer) quand le temps ne sera plus. ».

    Plusieurs questions se posent aux humains depuis la nuit des temps : le sens de la vie, celui de la mort, etc. Or notre vie humaine est mortelle. La mort est un destin qui attend tout humain, c’est pourquoi il appartient à tout un chacun de choisir de mourir dans l’inquiétude ou de manière sereine à l’image de Socrate. Ce dernier était dans la quiétude parce qu’il croyait en l’immortalité de son âme.

    Le rapport de l’âme et du corps nous a permis dans un premier temps de les présenter séparément, de montrer leur fonctionnement ainsi que de relever leur lien. Alors nous avons indiqué que dans la conception platonicienne, l’âme et le corps sont séparés. De plus, l’âme immatérielle et invisible est immortelle par rapport au corps qui est périssable. Toutes ces spécifications nous ont préparés à saisir l’immortalité de l’âme telle que perçue par Platon.

    La tentative de démonstration de l’immortalité de l’âme n’arrive pas comme de nulle part. C’est un sujet qui est bien présent : l’intelligence veut comprendre et recherche naturellement des raisons de cette immortalité.

    Cependant, la question qui pourrait se poser est de savoir s’il est possible de concilier la doctrine platonicienne de l’immortalité de l’âme et celle de la résurrection des corps, axe fondamental du christianisme.

    Rappelons d’abord quelques points essentiels de l’Eglise catholique (notes du cardinal Ratzinger) :

    •  l’Eglise croit à la résurrection des morts,
    • elle attend le retour glorieux du Christ qui est différé par rapport à la mort des hommes,
    • elle affirme la survivance d’un élément spirituel doué de conscience et de volonté, de sorte que le « moi » humain subsiste. Pour désigner cet élément, on emploie le mot « âme ».

    Comme nous l’avons vu précédemment, l’affirmation de l’immortalité de l’âme n’est donc pas un caractère propre au christianisme mais la révélation chrétienne a apporté une notion nouvelle : l’immortalité personnelle.

    La grande majorité des religions admettent l’immortalité de l’âme en tant que parcelle divine qui retourne à sa nature originelle à la mort. Mais le christianisme est allé plus loin : il affirme l’immortalité de l’âme individuelle.

    Si l’on ne parle que de la résurrection des corps en occultant ou déniant la notion de l’immortalité de l’âme, cette résurrection étant une nouvelle création, Dieu nous faisant un nouveau corps, cette affirmation peut paraître un peu fallacieuse : l’homme étant un tout, s’il doit être ressuscité, ce sera avec le même corps.

    Vu que l’âme fut unie au corps durant sa vie terrestre, il n’est pas naturel que l’âme vive indépendamment du corps. Ainsi l’immortalité de l’âme implique une résurrection future car l’âme ne peut vivre sans son enveloppe corporelle.

    Le christianisme impose une vision originale par rapport au monde juif et au monde grec : la persistance de l’identité personnelle rendue possible par la relation de connaissance et d’Amour avec Dieu. Et la nouveauté aussi par rapport au judaïsme est d’affirmer que l’âme, dans son séjour dans l’au-delà, connaîtra une grande félicité. L’âme, dans l’optique chrétienne, trouve, après la mort, le repos et la Lumière car son espoir est de demeurer face à Dieu dans une vision béatifique.

    Cependant, l’âme est encore dans un état transitoire : elle doit se purifier et elle attend la résurrection du corps auquel elle a appartenu. La théologie chrétienne insiste sur ce besoin de purification imagé par le purgatoire qui permet à l’âme de se purifier de ses fautes mais aussi de son désir d’attachement au corps. La purification achevée, l’âme connaît alors la béatitude (on ne peut en fixer la durée puisque dans l’autre monde le temps n’existe plus).

    Cette affirmation de la résurrection du corps a souvent été une incompréhension pour les uns, voire une indignation pour d’autres. Elle est pourtant l’essentiel du christianisme : Dieu, qui a créé l’homme corps et âme, ne reniera rien de sa création et le ressuscitera dans sa totalité, dans son unité. Il transfigurera le corps qui sera ainsi soustrait à la condition biologique de la vie.[1]

    Le Christ, ayant transgressé cette loi, soustraira tous les corps qui passeront à une existence incorruptible.[2]

    Voilà en quoi la résurrection des corps est bien l’axe fondamental du christianisme.

    Le concept dualiste de l’âme présenté par Platon correspond, dans les grandes lignes, à mes convictions personnelles : en effet je crois à l’immortalité de l’âme survivant au décès corporel.

    La vie terrestre n’étant qu’un passage au cours duquel il est nécessaire de vivre dans l’amour, la charité et la spiritualité afin de nous préparer au mieux à la promesse d’une vie éternelle. Par contre, je suis convaincu que l’homme est composé d’un esprit, d’un corps et d’une âme. L’esprit est le siège de la conscience. Il pense, apprend, raisonne, décide. Le corps est le véhicule de l’esprit dans le monde physique. Il est aussi ce qui relie l’esprit au monde extérieur : c’est par son intermédiaire que l’esprit en prend connaissance par les perceptions telles que l’ouïe, la vue, le toucher, l’odorat. L’âme est notre partie divine, la présence de Dieu en nous. Elle est la source de connaissance divine à laquelle l’esprit peut se connecter, par la méditation ou la prière par exemple.

    Pour conclure, relevons cependant que la connaissance de l’immortalité de l’âme ne peut et ne doit en aucun cas nous encourager à provoquer la mort, le suicide : l’immortalité de l’âme ne conduit pas à la haine de sa propre vie, mais à l’amour de celle-ci. Est-il alors nécessaire de nous rappeler une des règles de vie du Templier ? « Tu respecteras la Vie sous toutes ses formes, nul n’a le droit d’en disposer à sa guise ».

    Frère Guy D.

    * De l'immortalité de l'âme

     

    Références et sources bibliographiques :

    J.-F. Mattéi, Platon.

    Time-Life, A la recherche de l’âme.

    Renard, L’après-vie.

    Platon, Phédon.

    Platon, La République.

    Aristote, De l’âme.


    [1] « Que la poussière retourne à la terre comme elle est venue et le souffle à Dieu qui lui a donné » (Ecclésiaste XII, 7)

     « Dieu n’est pas un dieu des morts mais des vivants » (Luc, XX, 38)

    [2] Jésus rappelle que «Je suis la résurrection. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais. » (Jean, XI, 25-26) 


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