• * Honore la parole que tu as donnée

    Activité à la Commanderie de Saint-Léger

    En relation avec la prestation de serment de nos deux nouveaux Novices reçus ce 15 février 2019, notre Frère Écuyer Axel VDH nous a présenté le parchemin suivant :

    « Honore la parole que tu as donnée ».

    Dans les devoirs du Templier (repris sous les commandements) un des articles ordonne : « Sois toujours fidèle à tes engagements et honore la parole que tu as donnée ».

    Edmund Spenser (poète anglais de la période élisabéthaine, né à Londres vers 1552 et mort le 13 janvier 1599) disait « L'amour est plus précieux que la vie ; l'honneur plus que l'argent, mais plus précieux que tous deux, la parole donnée ».

    La parole donnée doit être respectée. Elle est une obligation morale, du reste, issue du droit canon selon laquelle toute promesse quelle qu’en soit la forme devait être respectée sous peine de commettre un péché. C’est vers le XIIème siècle que la morale chrétienne fait apparaître ce nécessaire respect de la parole donnée. Il s’agit de l’idée que tout individu est tenu de respecter ses engagements quel qu’en soit leur forme, idée qui fait étrangement écho à la théorie de l’autonomie de la volonté développée par Kant à l’ère du libéralisme économique et de l’individualisme et qui veut que la volonté soit apte à dicter sa propre loi. Dit autrement, la volonté des parties peut créer à elle seule un, le contrat et les effets qui en découlent. Cette théorie justifiée à l’époque (fin XIXème siècle) par les considérations philosophiques des Lumières, la morale judéo-chrétienne du droit canon et le libéralisme économique, a largement inspiré les rédacteurs du code civil et constitue au moment de la rédaction du code, un principe fondateur de la théorie générale des contrats.

    Donner sa parole, voilà qui engage au plus profond l’éthique. Si je donne ma parole, me voilà engagé à la tenir. Celui qui ne tient pas parole ne mérite pas qu’on lui fasse confiance et d’un certain point de vue il se place ainsi à l’écart de la communauté politique dont il fait partie tant est-il que toute vie communautaire suppose précisément la confiance dans la parole, dans le pouvoir de la parole, la croyance dans les mots. Comprenons-nous bien : quand nous employons l’expression « parole donnée », il ne s’agit pas simplement des paroles solennelles, des promesses, des engagements, des serments ou des contrats. Il s’agit de tout l’usage de la parole : dès que je parle, je donne ma parole comme parole de vérité. Sinon, on ne peut pas dire que je parle mais que je me contente de faire du bruit.

    La parole est un don.

    Que la parole fonctionne sur le mode du don tel que l’a analysé Marcel Mauss, c’est assez facile à montrer (Mauss est né le 10 mai 1872 à Épinal et mort à 77 ans à Paris, il est généralement considéré comme le père de l'anthropologie française. En 1895, Marcel Mauss obtient l’agrégation de philosophie). On peut résumer le don, comme « fait social » fondamental et Mauss l’a analysé de la manière suivante :

    • Donner : c-à-d exister socialement, c’est être capable de donner. Il y a dans le don quelque chose qui s’impose de multiples façons : s’y mêlent les obligations sociales (« noblesse oblige ») et l’émulation (je donne pour montrer ma richesse et ma grande générosité, largesse.

    Le don m’achète l’attachement des autres. (Donner m’amène donc à recevoir.)

    • Recevoir : celui à qui on fait un don doit l’accepter. Refuser un don, c’est injurier le donateur. Accepter le don, c’est entrer dans une relation qui renforce le lien social. (Recevoir m’amène à rendre.)
    • Rendre : Quand un don a été reçu, on doit le rendre. Il faut rendre au moins autant et de préférence plus en sorte de renverser le rapport institué par le donateur.

    Analysons la parole sous forme de don.

    Tout d’abord, en effet et comme développé ci-avant, la parole est un don ! Nous l’avons reçue, de la nature, mais aussi et surtout de nos parents, du pays dans lequel nous avons grandi. La parole ne nous appartient pas originellement comme nos bras, nos yeux, etc. Il faut qu’il y ait eu quelque chose de spécial pour faire advenir l’enfant à la parole, quelque chose qui ne procède pas de la nature mais de la culture. On dit que la mère donne naissance, donne la vie, etc. : pourquoi parle-t-on de don ?

    C’est parce que la mère parle à l’enfant et lui apprend à parler (ne dit-on pas « la langue maternelle » pour désigner cette langue que nous parlons en premier). L’enfant existe comme sujet, détaché de sa mère, sorti du mode fusionnel Si la parole est un don, on peut maintenant voir le problème sous un autre angle : quand nous parlons, nous donnons quelque chose. Mais quoi ? Les paroles ne sont-elles pas que du vent ? Les théoriciens des actes de langage privilégient la parole comme engagement qui permet de faire des choses.

    Mais c’est une vision très étroite des choses. Dès que je parle, je donne ma parole et donc je m’engage (peut-être est-ce que je donne ma parole « en gage »).

    S’agit-il de dire qu’il fait froid dehors, ma parole est censée porter une vérité, une toute petite vérité certes, mais une vérité tout de même puisque la parole par essence engage la vérité – soit dit en passant, en disant cela je soutiens une thèse philosophique en opposition avec tout un courant moderne et contemporain (depuis Wittgenstein), ce qu’on a appelé la «philosophie analytique», un courant qui défend une conception purement opérationnalise de la parole. A l’encontre du fameux « dire, c’est faire », j’affirme que parler, c’est s’engager sur la vérité dont la parole est porteuse. L’interlocuteur, celui à qui je parle, est alors dans la situation de celui qui doit recevoir. Il n’a rien demandé, souvent, mais il doit recevoir.

    Recevoir la parole de l’autre, c’est d’abord y porter attention, la considérer avec tout le sérieux qu’elle mérite. Cela ne veut pas dire croire aveuglément, bien sûr ! Mais même réfuter une affirmation, c’est la prendre au sérieux et la considérer comme ce qu’elle prétend être, savoir une vérité. Répondre, c’est donc rendre. Parfois simplement se mettre d’accord. On retrouve bien le schéma ternaire du don, mais aussi le schéma du dialogue platonicien, et notamment ce rapprochement que Socrate fait entre la parole véritative et un accouchement. Donner la parole et donner la vie, ce sont deux actes similaires dans leur fond.

    Donc si la parole est un don, à la fois parce qu’on m’a donné la faculté de parler au moins ma langue maternelle, et parce que je me suis nourri des paroles des autres, il faut maintenant approfondir le sens plus spécifique de l’expression « donner sa parole ».                                      

    Dans les sociétés traditionnelles, donner sa parole, c’est bien donner ce qu’il y a de plus précieux. C’est pourquoi manquer à sa parole est un véritable crime, bien plus grave que l’homicide, par exemple. « On lie les bœufs par les cornes, les hommes par les paroles » disait le juriste du XVIème siècle Antoine Loysel. Ce lien est un lien sacré et celui qui le défait se met donc à l’écart de la société des humains. On sait bien que les hommes peuvent ne pas tenir leur parole, peuvent être perfides, mais cela ne change rien à la confiance que l’on doit mettre dans la parole. Un contrat oral suffit. Sur les marchés aux bestiaux, il y a à peine un demi-siècle, une poignée de main valait signature, même pour des transactions assez importantes.

    La parole donnée, implique donc la liberté ou non de tenir parole, et bien qu’elle soit généralement vérité, elle peut également servir de subterfuge pour masquer l'inconnaissable, l'ambivalence. La parole donnée est en effet toujours porteuse de son double et donc d'un redoutable doute.

    À tous égards donc, la parole engage et organise au plus profond toutes les relations sociales. Du don elle possède le caractère inconditionnel, l’obligation pour le destinataire de s’y soumettre – ou d’assumer le conflit – et la réciprocité.

    La parole donnée suppose la confiance. Mais je ne peux avoir confiance en quelqu’un que si j’ai de bonnes raisons de lui faire confiance, soit que je le connaisse directement, soit que l’éthique communautaire me garantisse, autant que faire se peut, que cette parole est véridique. La parole donnée fait place alors à l’écrit. Ne dit-on pas : « les paroles s’envolent, les écrits restent » ? Les écrits, on ne peut s’en défaire sauf en les brûlant, ce qu’on fait les paysans pendant la révolution française : ils sont montés à l’assaut des châteaux non pour devenir châtelains à leur tour mais pour brûler tous ces textes où était gravée leur antique servitude. Les contrats deviennent presque tous des contrats écrits. Exactement comme on pourrait voir toute l’histoire comme le passage du don à l’échange marchand, on peut voir corrélativement la marginalisation de la parole vivante au profit de l’écrit et des procédures formelles telles que du droit.

    Pour conclure, remarquons, en tout cas, que l’écrit n’est pas la simple transcription de la parole, le signe de la parole, comme le disait Aristote, mais qu’il en est, à certains égards l’exact opposé puisqu’il s’impose quand la parole perd sa valeur – elle est censée s’envoler alors que les écrits restent ! Et je reprendrai enfin une citation dans Le Talmud ; Pessahim – V° siècle : « Dépouille une charogne plutôt que de revenir sur une parole donnée ».

    Frère Écuyer Axel VDH - Commanderie de Saint-Léger - Grand Prieuré de Belgique

     * Commanderie de Saint-Léger

     


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