• * Introduction à l'histoire de la chevalerie

     Introduction à l'histoire de la chevalerie 

    La réalité de la chevalerie au Moyen Age

    Les historiens s’accordent aujourd’hui sur l’origine germanique du rite de remise des armes qui deviendra l’adoubement, et autour duquel la chevalerie s’est organisée en Occident à partir du 10ème siècle.

    Sédentarisés en Gaule romaine après les invasions barbares, les Francs ont conservé une partie de leurs coutumes germaniques, dont celle de la remise des armes. Les chroniques donnent plusieurs témoignages de cérémonies de ce type. Ainsi, Charlemagne remit solennellement l’épée au prince Louis, son fils. Et Louis le Débonnaire ceignit pareillement l’épée à son fils Charles.

    L’insécurité régnait de façon permanente à cause des multiples « guerres privées » qui déchiraient le haut moyen âge. Sous la pression de ces évènements, l’Eglise allait être contrainte à penser le rôle du combattant dans la marche du peuple de Dieu.

    Dans ce contexte, le chevalier apparaît comme un compromis entre le guerrier et le chrétien. La chevalerie est, à l’origine, une solution pragmatique aux contraintes contradictoires de la spiritualité et de l’action.

    Pour constituer une véritable pédagogie des règles de vie auxquelles doit se tenir le combattant chrétien, l’Eglise va modifier et magnifier les usages des guerriers francs et les transformer ainsi en cérémonies chevaleresques. Les rituels rudimentaires de remise des armes vont s’enrichir en adoubements de plus en plus sophistiqués.

    Au 10ème siècle, il est probable que la remise solennelle de l’épée à un chevalier s’accompagnait d’une simple bénédiction de l’arme, demandée à un prêtre, comme le paysan faisait bénir sa charrue ou le pèlerin, son bâton.

    Au 12ème puis au 13ème siècle, le pragmatisme des débuts était oublié et l’accès à la chevalerie, tant dans son recrutement que dans ses formes, devint rigide et complexe.

    L’imaginaire médiéval allait développer tout un cycle légendaire autour de la chevalerie, qui, de solution pragmatique, devint idéal de vie. De cet idéal de vie, les romans de chevalerie se feront les infatigables chroniqueurs et les apologistes.

    La vocation, le renoncement, l’apprentissage, les combats, les errances et pour tout dire la  « quête » des chevaliers ont été lyriquement décrits. Les romans ont lourdement accentué la dimension sacrée de la chevalerie. De la maîtrise de soi-même pour affronter le risque de la mort – inhérent à la fonction de combattant – à l’initiatique, il n’y a qu’un pas allègrement franchi.

    Fortement marqués par la veine arthurienne, les romans de chevalerie en sont venus à conter la quête d’objets sacrés – voire magiques – ou de séjours merveilleux où le temps s’abolit.

    La chevalerie y est une ascèse. Quant au combat, il est celui que l’on doit livrer pour passer au travers des interdictions et métamorphoses qui protègent l’autre monde. La quête du Graal est la quête de l’absolu.

    Plus prosaïquement, les efforts de l’Eglise pour transformer les guerriers en chevaliers chrétiens réussirent si bien que ceux-ci désirèrent aller plus loin dans leurs engagements religieux. Ce sont en effet les chevaliers eux-mêmes qui sont à l’origine de la création des grands ordres militaires dont le nôtre.

    C’est ainsi qu’en 1119, certains nobles chevaliers, pleins de dévotion envers Dieu, religieux et craignant Dieu, se remettant entre les mains du seigneur patriarche pour le service du Christ, firent profession de vouloir vivre profondément selon la coutume des règles des chanoines.

    Ainsi le Temple, comme les ordres militaires ultérieurs, unit l’idéal du moine à celui du chevalier. Le Temple naquit de la volonté d’un chevalier champenois soucieux de son salut ! Mais il fut aussi porté par les nouveaux courants spirituels que la réforme de l’Eglise – la réforme grégorienne – a libérés. Il s’est ajusté parfaitement à l’idéologie des croisades et fut la réponse la plus pertinente aux besoins de celle-ci.

    Après l’Ordre du Temple, furent créés : l’Ordre de l’Hôpital et l’Ordre Teutonique. Aux côtés des Templiers, Hospitaliers et Teutoniques, il exista aussi un ordre dit « de Saint-Lazare » mais dont l’importance semble avoir été moindre.

    Par leur diversité, les ordres militaires ont amené l’idée que, au-delà de la qualité chevaleresque que tous partagent, il peut exister des groupes de chevaliers unis pour se consacrer à un objet particulier. A l’exemple des différents ordres monastiques, l’ordre de chevalerie dans cette nouvelle signification devient un groupe qui s’administre lui-même avec son projet, ses traditions particulières et ses signes de reconnaissance par rapport à d’autres groupes similaires.

    Déclin de la chevalerie

    Le 14ème siècle va voir le déclin de la chevalerie et des ordres militaires. Les chevaliers se raréfient très vite après 1350. Quant aux ordres militaires, celui des Templiers se dispersa en 1314 : vers l’Espagne, le Portugal et vers l’Ecosse. Si l’Ordre de l’Hôpital et l’Ordre Teutonique perdureront, ce sera en devenant des institutions n’ayant que des rapports de plus en plus lointains et formels avec leurs origines chevaleresques. Disparus dans la vie quotidienne de l’Europe, les chevaliers allaient cependant rester très présents dans les esprits, l’imaginaire se révélant infiniment plus résistant que le monde réel !

    Mais la chevalerie était aussi présente ailleurs que dans les romans. Des ordres de chevalerie, bien réels, issus directement ou indirectement du moyen âge, existaient encore au siècle des Lumières et l’on pouvait rencontrer dans les salons parisiens d’authentiques Chevaliers de Saint-Lazare de Jérusalem comme, par exemple, le chevalier de Ramsay.

    Cependant il était bien difficile de reconnaître l’idéal médiéval dans des institutions transformées, au 16ème et au 17ème siècle, en récompense pour les serviteurs loyaux du roi et de l’Etat. Dans les « Ordres du Roy », au 18ème siècle, plus de chapitre de chevaliers égaux, plus d’épopée, plus de quête, Jérusalem est bien loin !

    L’ordre est administré par le roi ou l’un  de ses proches et, même si l’on reçoit parfois quelque soldat victorieux, il s’agit avant tout d’un cercle visant à lier au pouvoir une certaine noblesse et à dispenser des pensions.

    Peu après son âge d’or, il y a donc déclin puis disparition de la chevalerie dans la réalité. Mais le moyen âge allait laisser un double héritage que la postérité fera fructifier : le roman de chevalerie et les ordres de chevalerie. Ces deux survivants d’un continent disparu transmettront aux siècles futurs l’imaginaire, voire l’idéal, et les rites de la chevalerie.

    En guise de conclusion

    Il y a deux cent cinquante ans, la chevalerie n’existait plus ou presque plus. N’en subsistaient que les décors pompeux de quelques ordres prestigieux mais surtout honorifiques, brillantes récompenses que les souverains qui n’avaient plus rien des rois-chevaliers, à la manière de François 1er, distribuaient à leurs commensaux et à leurs parents.

    Qu’était-ce, en effet, qu’un chevalier du Saint-Esprit ou un chevalier de Saint-Michel, vers 1750 ? Détenir les « Ordres du Roi », comme on les nommait, était un privilège accordé à peu de mortels et pour lequel les noms les plus illustres, les lignages les plus anciens, étaient prêts à tout.

    D’autres ordres existaient aussi, moins brillants et, partant, moins recherchés, tel celui de Saint-Lazare, que l’on avait conjoint sous Henri IV à celui de Notre-Dame du Mont-Carmel, et qui exigeait une noblesse plus mince, voire une noblesse présumée, si la faveur des puissants s’était fait sentir.

    Après l’avoir désarmée et privée de sa bravoure, réduite à une brillante comédie de cour, le deuxième outrage fait à la chevalerie fut de la confondre avec la noblesse et pire encore, de n’en faire que le premier grade d’une échelle incertaine qui, en France, culminait au duc.

    Ainsi le nom de chevalier n’était plus qu’un mot tombé en déshérence, jeté dans le domaine public, marque d’une appartenance sans signification à un corps mythique privé de sa substance, simple et premier échelon d’une dignité sociale tant désirée. Le chevalier était au bas de tout et l’usage du mot, comme du titre misérable qu’il signifiait, devint commun. Tout aventurier en mal de reconnaissance, tout aigrefin en quête de victimes naïves, tout ambitieux cherchant son destin, assumait l’appellation non protégée de chevalier.

    Dans le Saint Empire Romain Germanique, en revanche, il en allait autrement. Cet Etat cultivait encore certaines traditions qui remontaient justement aux temps de ses glorieuses origines. Un ordre de chevalerie prestigieux formait une sorte d’instrument fédérateur autour de l’Empereur : c’était l’Ordre de la Toison d’Or.

    Un nouvel intérêt pour la chevalerie ?

    Au seuil du 18ème siècle, un nouvel intérêt se réveilla pour les exploits des anciens chevaliers. On se mit à écrire et plus encore à lire des essais, des traités, sur l’histoire de la chevalerie, des croisades et des ordres militaires et religieux.

    Qui dira pourquoi cette curiosité fut à nouveau soulevée pour des temps et des faits que le 17ème siècle, le siècle classique, avait ensevelis dans les décombres du moyen âge méprisé autant que méconnu et qu’à son tour, après un bref réveil, le siècle des Lumières rejettera avec les lambeaux de la cité chrétienne tant décriée ?

    Si les derniers chevaliers disparurent dans la deuxième moitié du 14ème siècle, l’idéal – ou, pour rester neutre, l’imaginaire – de la chevalerie leur survécut. Cette rémanence de l’imaginaire chevaleresque au fil des siècles est même un phénomène tout à fait singulier de l’histoire des idées. On sait combien cette source irriguera la littérature, des romans médiévaux jusqu’aux écoles romantiques. Et ne peut-on parfois reconnaître le chevalier derrière les masques de certains héros contemporains ?

    Mais, parallèlement aux œuvres de fiction, les courants ésotériques occidentaux puiseront aussi abondamment dans le langage et les thèmes de la chevalerie. Ainsi, l’idéal chevaleresque apparut comme l’une des composantes du corpus initiatique que la Franc-maçonnerie spéculative s’agrégera durant le deuxième tiers du 18ème siècle.

    Frère André B., Grand Chancelier Prieural

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    Bibliographie  :

    Duby Georges

    La société chevaleresque

    Editions Flammarion, Paris, 1995

     

    Mollier Pierre

    La chevalerie maçonnique

    Collection Renaissance traditionnelle

    Editions Dervy, Paris, 2008

     

    Midal Fabrice

    L’esprit de la chevalerie, des atouts pour l’homme moderne

    Presses de la renaissance, Paris, 2005


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