• * 13 - La résurrection de Lazare

    Jésus ressuscite Lazare

     * La résurrection de Lazare

    Jean Jouvenet - La résurrection de Lazare

    Par ce parchemin, j’aimerais aborder un passage de l’Évangile selon saint Jean, généralement bien connu, que l’on entend parfois lors d’une messe de funérailles.

    Il s’agit du récit de la résurrection de Lazare. L'explication qui en est donnée ne nous semble pas toujours très satisfaisante. On s'en tient à la description physique et à tout ce qui entoure les sentiments humains en de telles circonstances. Il me semble que ce ne soit pas raisonnable de commenter ce texte sans lui donner une référence symbolique que nous ne retrouvons pas dans les homélies et discours que nous pouvons entendre à l'église.

    Écoutons d’abord la parole de Dieu ou relisons cet extrait :

    Extrait de l’Évangile de Jean : Jean 11.1-57

    1 Il y avait un homme malade ; c'était Lazare de Béthanie, le village de Marie et de sa sœur Marthe.

    2 Marie était celle qui versa du parfum sur les pieds du Seigneur et qui les essuya avec ses cheveux; c'était son frère Lazare qui était malade.

    3 Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade ».

    4 A cette nouvelle, Jésus dit : « Cette maladie n'aboutira pas à la mort, mais elle servira à la gloire de Dieu, afin qu'à travers elle la gloire du Fils de Dieu soit révélé ».

    5 Or, Jésus aimait Marthe, sa sœur et Lazare.

    6 Quand il eut appris que Lazare était malade, il resta encore deux jours à l'endroit où il était.

    7 Puis il dit aux disciples : « Retournons en Judée ».

    8 Les disciples lui dirent : « Maître, tout récemment les Juifs cherchaient à te lapider et tu retournes là-bas ? ».

    9 Jésus répondit : « N'y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu'un marche pendant le jour, il ne trébuche pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde ;

    10 mais si quelqu'un marche pendant la nuit, il trébuche, parce que la lumière n'est pas en lui ».

    11 Après ces paroles, il leur dit : « Notre ami Lazare s'est endormi, mais je vais aller le réveiller ».

    12 Les disciples lui dirent : « Seigneur, s'il s'est endormi, il sera guéri ».

    13 En fait, Jésus avait parlé de la mort de Lazare, mais ils crurent qu'il parlait de l'assoupissement du sommeil.

    14 Jésus leur dit alors ouvertement : « Lazare est mort.

    15 Et à cause de vous, afin que vous croyiez, je me réjouis de ce que je n'étais pas là. Mais allons vers lui ».

    16 Là-dessus Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, afin de mourir avec lui ».

    17 A son arrivée, Jésus trouva que Lazare était depuis quatre jours déjà dans le tombeau.

    18 Béthanie était près de Jérusalem, à moins de trois kilomètres,

    19 et beaucoup de Juifs étaient venus chez Marthe et Marie pour les consoler de la mort de leur frère.

    20 Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison.

    21 Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.

    22 [Cependant,] même maintenant, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera ».

    23 Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera ».

    24 « Je sais, lui répondit Marthe, qu'il ressuscitera lors de la résurrection, le dernier jour ».

    25 Jésus lui dit : « C'est moi qui suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, même s'il meurt ;

    26 et toute personne qui vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? ».

    27 Elle lui dit : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Messie, le Fils de Dieu, qui devait venir dans le monde ».

    28 Après avoir dit cela, elle alla appeler secrètement sa sœur Marie en lui disant : « Le maître est ici et te demande ».

    29 A ces mots, Marie se leva sans attendre et alla vers lui.

    30 Jésus n'était pas encore entré dans le village, mais il était à l'endroit où Marthe l'avait rencontré.

    31 Les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et qui la consolaient la virent se lever soudain et sortir ; ils la suivirent en disant : « Elle va au tombeau pour y pleurer ».

    32 Marie arriva à l'endroit où était Jésus. Quand elle le vit, elle tomba à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ».

    33 En la voyant pleurer, elle et les Juifs venus avec elle, Jésus fut profondément indigné et bouleversé.

    34 Il dit : « Où l'avez-vous mis ? » « Seigneur, lui répondit-on, viens et tu verras ».

    35 Jésus pleura.

    36 Les Juifs dirent alors : « Voyez comme il l'aimait ! ».

    37 Et quelques-uns d'entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas aussi faire en sorte que cet homme ne meure pas ? ».

    38 Jésus, de nouveau profondément indigné, se rendit au tombeau. C'était une grotte ; une pierre fermait l'entrée.

    39 Jésus dit : « Enlevez la pierre ». Marthe, la sœur du mort, lui dit : « Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu'il est là ».

    40 Jésus lui dit : « Ne t'ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? ».

    41 Ils enlevèrent donc la pierre [de l'endroit où le mort avait été déposé]. Jésus leva alors les yeux et dit : « Père, je te remercie de ce que tu m'as écouté.

    42 Pour ma part, je savais que tu m'écoutes toujours, mais j'ai parlé à cause de la foule qui m'entoure, afin qu'ils croient que c'est toi qui m'as envoyé ».

    43 Après avoir dit cela, il cria d'une voix forte : « Lazare, sors ! ».

    44 Et le mort sortit, les pieds et les mains attachés par des bandelettes et le visage enveloppé d'un linge.

         Jésus leur dit : « Détachez-le et laissez-le s'en aller ».

    45 Beaucoup de Juifs qui étaient venus auprès de Marie et qui virent ce que Jésus avait fait crurent en lui.

    46 Mais quelques-uns d'entre eux allèrent trouver les pharisiens et leur racontèrent ce que Jésus avait fait.

     * La résurrection de Lazare

    Colin d'Amiens - La Résurrection de Lazare - ca. 1450-60. Musée du Louvre

    Comment interpréter ce passage de l'Évangile ?

    Après avoir exposé la situation, le narrateur présente des scènes successives dans lesquelles Jésus rencontre les différents personnages de ce récit : d’abord les disciples, ensuite Marthe, finalement Marie et les Juifs qui l’accompagnent. Dès le début, on entrevoit quel va être le dénouement de l’intrigue, mais le narrateur ne décrit pas tout de suite sa réalisation. Il maintient ainsi un long suspens et attire l’attention du lecteur sur les paroles de Jésus.

    Ce qu’on peut dire à ce stade de la présentation de cet épisode, c’est que son intrigue sera à la fois de résolution (on passe de la maladie et la mort de Lazare à sa résurrection) et de révélation sur l’identité de Jésus (Il n’est pas un Messie immortel, même s’il s’appelle « résurrection et vie »).

     * La résurrection de Lazare

    Rembrandt - Résurrection de Lazare

    Situation et personnages (Jn 11,1-5).

    Les premiers versets présentent la famille de Béthanie et annoncent la maladie de Lazare, sur laquelle le narrateur insiste puisqu’elle est mentionnée trois fois en trois versets (v. 1-3). Une autre information est répétée au début du récit, d’abord venant de Marthe et Marie, ensuite du narrateur : une relation d’amitié unit Jésus avec les deux sœurs et Lazare (cf. v. 3 : «Celui que tu aimes est malade» et v. 5 : « Jésus aimait Marthe, sa sœur et Lazare »).

    Cette insistance sur l’amour de Jésus ne rend que plus étonnante son attitude apparemment indifférente lorsqu’il apprend que Lazare est malade : il reste, en effet, encore deux jours à l’endroit où il se trouvait avant de se mettre en chemin vers Béthanie (v. 6). De plus, Jésus se contente de déclarer : « Cette maladie-là ne débouche pas sur la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle » (v. 4). Or ces belles paroles de Jésus sonnent creux, car on apprendra, dans la scène suivante, que Lazare est mort, ce qui réduit à néant la belle assurance de Jésus affirmant que cette maladie n’entraîne pas la mort. À ce niveau du récit, on aurait envie de dire qu’au lieu de parler, Jésus aurait mieux fait d’agir. C’est d’ailleurs ce que lui suggèreront plus tard, l’une après l’autre, les deux sœurs : « Seigneur, si tu avais été là mon frère ne serait pas mort » (v. 21 et v. 32).

     * La résurrection de Lazare

    La résurrection de Lazare (version de Boston) - Deshays

    Dialogue entre Jésus et les disciples (Jn 11,6-16).

    Finalement, Jésus décide d’aller en Judée avec ses disciples mais, avant de partir, s’instaure entre eux un dialogue qui n’est pas exempt de malentendus, – ce n’est d’ailleurs pas un cas unique dans l’Évangile de Jean qui joue souvent la carte de ce procédé littéraire. Tandis que Jésus parle de sommeil à propos de la mort de Lazare, les disciples comprennent, en effet, qu’il dort, c’est-à-dire qu’il se repose et, en conséquence, qu’il va guérir. Mais Jésus précise que Lazare est bien mort et qu’il se réjouit de cette mort en son absence. L'attitude de Jésus se réjouissant devant la mort d’un de ses amis est, une nouvelle fois, pour le moins étonnante ! Seul le fait qu'il traite de « sommeil » la mort de Lazare laisse supposer qu'il a de bonnes raisons de se réjouir.

    Une autre source de malentendu provient de ce que le retour en Judée représente un danger de mort pour Jésus, car on veut le tuer. Les disciples le savent d’ailleurs et Thomas prend la parole pour encourager le groupe à s’unir au sort de Jésus : « Allons, nous aussi, pour mourir avec lui » (v. 16). On passe ainsi de la mort de Lazare à celle qui menace Jésus et, d’une certaine manière aussi, les disciples qui sont avec lui. Or, si Jésus ne rectifie pas sur le champ les paroles de Thomas, les événements indiqueront clairement que Jésus n’entraîne personne dans la mort avec lui. Au contraire, il mettra en pratique ce qu’il a dit : tel le bon berger, il donnera sa vie pour sauver le troupeau. Avant sa passion, il dira, en effet, en parlant des disciples, à ceux qui viennent l’arrêter : « Ceux-là, laissez-les aller ». Et l’Évangéliste d’ajouter : « Il fallait que la parole de Dieu fût accomplie, ‘’Ceux que tu m’as donnés, je n’ai perdu aucun d’entre eux’’ » (Jn 18,8).

     * La résurrection de Lazare

    Rencontre entre Jésus et Marthe (Jn 11,17-27).

    Jésus n’est pas encore entré dans le village de Béthanie (v. 30) que Marthe va à sa rencontre, tandis que Marie reste assise dans la maison du deuil. Dans son dialogue avec Marthe – le plus long de tout le récit – Jésus évoquera non seulement la résurrection, mais il se présentera comme la résurrection et la vie, révélant ainsi sa propre identité. Marthe, de son côté, manifestera sa foi en Jésus d’abord par une affirmation : « Je sais que, quoi que tu lui demandes, Dieu te le donnera » (v. 22), qui traduit son espérance que Jésus pourra ramener son frère à la vie. Ensuite, dans une véritable confession de foi, elle reconnaîtra l’identité de Jésus, indépendamment de toute référence à Lazare : « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le fils de Dieu, celui qui vient dans le monde » (v. 27).

     * La résurrection de Lazare

    La résurrection de Lazare

    Jésus, Marie et les Juifs qui l’accompagnaient dans le deuil (Jn 11,28-37).

    Sans en avoir reçu l’ordre, Marthe avertit sa sœur que le Maître l’appelle. Aussitôt, celle qui était restée assise se met debout et part à la rencontre de Jésus. Le groupe des Juifs, venus l’accompagner dans le deuil, la suivent pensant qu’elle va à la tombe. Mais elle va vers Jésus qu’elle rencontre à l’endroit même où Marthe l’avait rencontré, et lui dit la même chose : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort » (v. 32). Cependant, contrairement à Marthe, Marie en reste là. Elle ne dit rien de plus. C’est le groupe des Juifs présents, auquel se joint peut-être Marie dans l’invitation « Seigneur, viens et vois » (v. 34), qui prendra la parole pour répondre à la question de Jésus, constater l’amitié de Jésus pour Lazare et se demander si celui qui avait donné la vue à un aveugle-né n’aurait pas pu éviter la mort de son ami.

    Quant à Jésus, un seul « Où l’avez-vous mis ? » (v. 34) va interrompre des réactions de frémissement intérieur (v. 33 et v. 38), de trouble (v. 33) et de pleurs (v. 35). Celui qui se réjouissait de « ne pas avoir été là » (v. 15), pleure maintenant devant la réalité de la souffrance et du deuil. Sa joie ne venait donc vraisemblablement ni d’une inconscience, ni d’une impassibilité. En outre, au-delà de la mort de Lazare, le verbe « se troubler » évoque l’affrontement de Jésus avec sa propre mort (voir Jn 12,27).

    Voyant les larmes de Jésus, les Juifs pensent à l’amitié de Jésus pour Lazare : « Voyez comme il l’aimait ! » (v. 36). Émouvants et bouleversants, ces pleurs de Jésus devant la tombe de Lazare ! Il sait qu’il va redonner vie à Lazare, mais il pleure. D’ailleurs, à sa question : « Où l’avez-vous mis ? », ils lui avaient répondu : « Seigneur, viens et vois » (v. 34), l’invitant à « faire l’expérience » du deuil et, au-delà, celle de la mort. Ils ne lui décrivent pas, en effet, l’endroit où ils l’ont mis, mais ils l’invitent à faire la démarche pour venir « voir ». Celui qui s’était présenté à Marthe comme étant la « Vie » pleure devant le deuil, et il va faire l’expérience de la mort.

     * La résurrection de Lazare

    Jésus devant le tombeau de Lazare (Jn 11,38-44).

    Arrivé devant le tombeau, Jésus demande qu’on enlève la pierre. Marthe intervient alors : « Seigneur, il sent déjà, c’est le quatrième jour » (v. 39). Cette donnée temporelle souligne le temps passé (les quatre jours ont dépassé le temps qu’il faudra pour la résurrection de Jésus !) et met en évidence la corruption du cadavre, précisée par l’odeur de mort qui s’en dégage. En conséquence, l’efficacité de la parole de Jésus n’en est que davantage mise en valeur. Tous les signes de la mort sont là, mais grâce à une parole, le mort va revivre. Jésus appelle Lazare par son nom, mais il le fait d’une voix forte (v. 43) qui n’est pas sans évoquer la voix forte du don de la Torah au Sinaï (Dt 5,22) et touche toute personne qui gît dans un tombeau. Lazare sort libre et vivant du sépulcre, mais muet sur ce qu’il a pu « vivre ». Une chose est certaine : si le narrateur ne décrit pas ici la joie de la rencontre entre Lazare et ses sœurs, alors qu’il avait détaillé la peine de Marie et de ceux qui l’accompagnaient, c’est que la perspective du récit n’est pas la joie de la famille de Béthanie, mais l’écoute des paroles de Jésus et l’attention à ses gestes.

     * La résurrection de Lazare

     

    La mort de Jésus est décidée (Jn 11,45-53).

    Comme dans d’autres passages de l’Évangile de Jean, les signes de Jésus et ses paroles ne sont pas interprétés de la même façon par tous : d’un côté « beaucoup de Juifs… crurent en lui » (v. 45) de l’autre, les grands prêtres et les Pharisiens, informés de la résurrection de Lazare, en conclurent que Jésus représentait un danger pour toute la nation (v. 47). C’est alors qu’intervient Caïphe, qui était Grand Prêtre cette année-là, pour affirmer qu’il vaut mieux qu’un seul meure plutôt que tout le peuple (v. 50). Sa déclaration, qui apparaît d’abord comme un conseil, est interprétée par le narrateur comme une prophétie.

     * La résurrection de Lazare

    La mort de Jésus acquiert ainsi une signification positive : elle sauve tout un peuple. Bien plus, elle permet l’unité de toute l’humanité dispersée (v. 52). À la fin de l’épisode, les paroles du Grand Prêtre sur la mort de Jésus renvoient à l’explication de la mort de Lazare donnée par Jésus à ses disciples au début du passage (v. 4). Si cette dernière n’a pas abouti à la mort, mais a été pour la gloire de Dieu, la mort de Jésus débouchera sur la vie d’une multitude.

    D’après l’analyse effectuée par Bernadette Escaffre

    (Références 1 à 4)

    Conclusion et morale de l’histoire

    L'histoire est digne des « Contes et légendes »... mais que signifie-t-elle ? Que Jésus peut faire revivre des morts comme il l'a fait pour Lazare ?

    Peu importe que Lazare ait ou non été réanimé de sa mort physique, les questions principales sont  : qu'est-ce qu'on peut attendre du Christ pour nous aujourd'hui? Quelle espérance ? Quelle action de Dieu dans notre existence ?

    Nous sommes sans doute peu nombreux à croire que Dieu ramènera un jour à la vie physiquement tous ceux qui sont morts biologiquement.

    Alors que peut nous apprendre ce texte trop merveilleux ?

     * La résurrection de Lazare

    Girolamo Muziano - La Résurrection de Lazare

    La clé se trouve dans l'affirmation de Jésus concernant la Résurrection : Marthe dit qu'elle y croit, mais comme quelque chose concernant la fin des temps. Jésus lui répond qu’au contraire, c'est pour aujourd'hui et maintenant (Verset 25) :

    « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais ».

    Là est le message essentiel : la résurrection, ce que Dieu peut nous faire, il ne faut pas l'attendre pour l'au-delà, mais c'est pour tout de suite, maintenant, sans attendre. Dieu peut nous « ressusciter », nous remettre debout et en marche, nous redonner confiance, nous libérer de tous les liens destructeurs qui nous enserrent.

    Cela est clair, mais quel est le lien alors avec la réanimation de Lazare ? Apparemment aucun, parce qu'il s'agit d'une « réanimation », et non pas d'une « résurrection ». Lazare revient à la vie physique, mais il mourra quand même un peu plus tard, on ne peut dire de lui qu'il ne mourra jamais... Il semble donc que la lecture littérale de la réanimation de Lazare ne colle pas avec le texte.

    Le seul moyen de trouver un lien entre l'événement rapporté et l'affirmation du Christ sur la résurrection, c'est l'analogie. Il faut voir l'histoire comme un signe, un exemple symbolique, une parabole nous montrant comment ça se passe, une résurrection dans notre vie, et quels sont les rôles de chacun : de Dieu, du Christ, de l'intéressé, et des autres, de l'entourage.

    Le mot « mort », en particulier, n'est pas utilisé dans la Bible seulement dans le sens d'une mort purement physiologique, et le mot traduit par « résurrection », en grec signifie juste la « relevée ». Dieu peut donc nous relever, nous redonner la vie, nous remettre debout, nous remettre en marche.

    Et là est le miracle et la puissance extraordinaire de Dieu, puissance qui nous est transmise par le Christ : Dieu peut nous libérer de tous les enfermements mortifères possibles, même si ça fait longtemps que notre vie semble fichue, même si tout le monde nous dit mort, même si plus personne n'a d'espoir, le Christ peut nous remettre debout, en route, contre toute attente, contre toute logique et tout pronostic.

    Comme c'est le cas pour Lazare, les autres ont vite fait de nous enterrer, de nous déclarer fichus, plus bons à rien, de nous enfermer dans des catégories, des jugements, des condamnations, ils déclarent que nous sentons mauvais et qu'il n'y a aucun espoir. Et pour que le compte soit total, ils nous ajoutent des bandelettes et cachent notre visage avec des linges, pour dire que nous ne sommes plus rien... Prisonniers de la mort, prisonniers des autres, prisonniers de notre imperfection, de notre péché, de nos échecs, de notre tristesse, de nos deuils, impression qu'on ne pourra jamais s'en relever.

    Jésus-Christ, lui peut nous relever, nous libérer, nous réapprendre à vivre, nous redonner la vie.

    Bien plus qu’une simple petite leçon de morale, nous pourrions dire qu'il nous faut garder confiance, et qu'avec un peu de courage ça peut aller mieux. L'auteur de la résurrection, ici, c'est vraiment Dieu par le Christ. Ce n'est pas Lazare qui arrive à s'en sortir plus ou moins tout seul avec force de volonté.

    Quant au processus complexe, il est merveilleusement bien décrit dans le texte.

    En fait il n'y a pas que Dieu qui soit acteur, il y a aussi le Christ, et Lazare aussi, d'une certaine manière, et puis les proches. Chacun a un rôle.

    Jésus est celui qui fait connaître cette puissance et permet d'en bénéficier. Il proclame, et il appelle. Il appelle les autres à agir, et aussi Lazare à sortir. Mais Jésus ne va pas chercher Lazare. Dieu fait ainsi le premier pas, mais ensuite, c'est au fidèle d'entendre la voix et de sortir.

    Les proches, eux, doivent enlever la pierre du tombeau, enlever les bandelettes... ils ont un rôle essentiel pour leur ami. On ne peut pas s'en sortir tout seul, même avec l'aide de Dieu : il nous faut l’aide des frères et des sœurs tout autour de nous. Ce rôle humain, c'est d'accompagner, de libérer autant que possible, de transmettre la parole. Et ce rôle des proches, il est essentiel pendant tout le processus, processus miraculeux qui s'opère quand chacun est à l'écoute du Christ.

    D’après l’analyse de Louis Pernot – Eglise protestante unie de l’Etoile (Paris)

    Première réflexion

     * La résurrection de Lazare

    Duccio di Buoninsegna

    La résurrection de Lazare

    Le texte de la résurrection de Lazare (Jn 11,1-46) a connu plusieurs couches rédactionnelles successives où s'affirme progressivement une conviction de plus en plus profonde : celle que les morts ressusciteront. Selon la croyance juive, l'âme du défunt rôdait encore pendant trois jours autour de son corps avant de s'en aller au lieu des morts. Dans la rédaction finale de ce texte, Jésus arrive quatre jours après le décès, montrant ainsi que Lazare était vraiment mort.

    Mais dans ce texte, l'accent de l'Évangéliste porte non pas sur Lazare mais sur Marthe. C'est elle qui tient le rôle principal dans ce récit, dès le v. 5. C'est à elle que s'adressent les paroles de Jésus. Il lui explique que la maladie de Lazare n'est pas mortelle pour celui ou celle qui croit en lui. « Je suis la résurrection et la vie, qui croit en moi, fut-il mort, vivra » (v. 25). Pour les chrétiens de la communauté johannique, la gloire de Dieu, qui s'est manifestée lors de la résurrection de Jésus, se manifestera à nouveau pour chaque personne qui croit en Lui.

    Dans ce texte, la gloire de Dieu se manifeste en Jésus de deux façons : par le geste de la résurrection de Lazare, mais aussi par cette révélation qu'il fait à Marthe. C'est la foi en Jésus qui garantit la résurrection et la vie éternelle. C'est lui qui fait vivre (Jn 5,21.25.28)! Il est la vie parce que son Père la lui a donnée (Jn 5,26) et qu'il la communique aux hommes (Jn 10,10.28). Le signe présent dans ce texte est celui de la vie éternelle donnée par Jésus à celui qui croit en lui.

    D’après le commentaire de Yolande Girard, bibliste

    (Référence 5)

    Deuxième réflexion : à propos des personnages

     * La résurrection de Lazare

    Caravage - La Résurrection de Lazare - c.1608-1609
    Musée Régional, Messine, Italie

    Marthe, Marie, Lazare : trois types universels.

    L’épisode de la résurrection de Lazare, le plus grand miracle de Jésus, que l’Église nous propose en ce cinquième dimanche de carême, met en scène une fratrie de deux sœurs et un frère : Marthe, Marie et Lazare. Ils étaient tous trois les amis de Jésus et habitaient Béthanie, village situé sur le mont des Oliviers, mais sur le versant opposé à celui où se situe le jardin de Gethsémani, qui fait face au Temple de Jérusalem. L’Évangile est très clair sur leur relation à Jésus : Jésus aimait Marthe et sa sœur Marie et Lazare (Jn 11,5). Les personnes de ce trio aimé par le Seigneur présentent des traits distinctifs capables de figurer trois types universels.

    Marthe, c’est la tête qui organise. Sa foi est toute doctrinale : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection au dernier jour » répond-elle à Jésus après que celui-ci l’ait assuré que son frère ressuscitera. C’est la foi des pharisiens. Pour le judaïsme de l’époque, le résurrection était collective, et ne devait intervenir qu’à la fin des temps. Ce qui explique l’importance du signe posé par Jésus en ressuscitant l’individu Lazare. Avec Marthe Jésus parle « dogmatique ». « Je suis la Résurrection et la Vie ».

    Marie, elle, c’est le cœur. Elle sanglote en approchant de Jésus. Lui-même, à la vue de ses larmes, « frémit intérieurement » dit le texte. La réaction affective de Jésus va crescendo : d’abord « il frémit », ensuite « il se troubla », enfin « il versa des larmes ». Marie, c’est l’amitié qui n’a pas peur de laisser parler le cœur. A son contact, Jésus ne s’en prive pas. D’ailleurs le zèle de Marie est souligné par le narrateur : « Elle se leva très vite » dès qu’elle sut que Jésus était arrivé, et se jeta à ses pieds. De sa part une telle réaction dénote une marque de confiance en la seigneurie de Jésus. Aussi le Seigneur ne lui demandera-t-il pas une profession de foi explicite comme à sa sœur Marthe : « Crois-tu cela ? » (v. 26).

    Et Jésus pleura.

    Ce verset aura été plus efficace que toutes les bibliothèques de théologie dogmatique réunies, pour persuader les croyants de tous les temps que le Christ avait une vraie humanité, en tout pareille à la nôtre ! Et non seulement pour les en convaincre, mais surtout pour la faire aimer. Car l’humanité du Christ n’est pas celle d’un ataraxique, d’un champion de l’insensibilité stoïcienne. Jésus n’a pas rougi de l’affectivité, du langage du cœur. Ce n’est pas malgré sa tendresse tout humaine qu’il partage la gloire de son Père dans l’Incarnation, mais au cœur de cette même tendresse. La gloire de Dieu se dit également dans le mouvement des larmes de Jésus. La théologie dogmatique soulignera ce point ultérieurement, en affirmant que ce qui est dit de Jésus en son humanité peut être dit de lui aussi selon sa personne divine. C’est le Verbe éternel du Père qui est né de la Vierge Marie, qui est mort. Et c’est lui également, lui la seconde Personne de la Trinité, qui a pleuré sur la mort de son ami Lazare. Cet Évangile nous révèle que Dieu a un cœur !

    Troisième type : Lazare. Le frère représente de son côté l’homme en son destin douloureux, mais aussi glorieux. Son nom « Eléazar » signifie d’ailleurs « Dieu aide ». C’est l’homme en tant qu’il a besoin du secours de Dieu. Aussi, afin que le frère des deux sœurs réintègre la fratrie, Jésus devra poser son plus grand acte de puissance: le retirer des griffes du tombeau, de la mort. Le nom du village où ils résident tous les trois, Béthanie, se traduit d’ailleurs par « la maison du pauvre ». Il peut s’agir de la pauvreté évangélique, si chère au cœur de Jésus. Mais aussi de la pauvreté de l’homme laissé à lui-même, qui doit tout attendre de Dieu.

    Dans le cas de Lazare, il ne pouvait s’agir de pauvreté sociale. Le nombre élevé de personnes qui s’étaient déplacées à ses funérailles laisse penser en effet qu’il était un homme en vue. De plus la valeur du parfum que sa sœur Marie versera sur les pieds de Jésus quelque jours plus tard nous indique que la famille n’était pas pauvre matériellement. Si l’évangéliste a pris soin de préciser toutefois le nom du village où  elle résidait, c’est certainement afin de nous orienter vers un autre type de pauvreté, la pauvreté spirituelle, si chère aux amis de Jésus, cette pauvreté dont Lazare est un  type accompli.

    Une tête, un cœur, un corps : telle est la triade représentée par les trois amis de Jésus de Béthanie.

    « Je suis la Résurrection et la Vie ».

    Nous avons vu qu’au sein de la famille, Marthe était la gardienne de l’orthodoxie dogmatique – au bon sens du terme. Aussi est-ce à elle que Jésus affirme : « Je suis la Résurrection et la Vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (verset 25). Préalablement, comme nous l’avons vu plus haut, Marthe avait répondu à l’affirmation initiale de Jésus : « Ton frère ressuscitera » par l’acte de foi objective de la résurrection générale à la fin des temps (qui était celle des pharisiens).

    Quel saut nous oblige à accomplir alors Jésus avec une telle déclaration! Désormais la Résurrection n’est plus un événement lointain, reportée sine die. Elle est une personne ! « Je suis » dit Jésus. Affirmer cela, c’est bien sûr se placer sur le plan divin. Seul Dieu EST au sens absolu du terme.

    En ajoutant « Je suis la Résurrection », Jésus nous indique que notre levée d’entre les morts, non seulement est liée à sa personne, mais de plus qu’elle est sa personne elle-même. Autrement dit nous ne pourrons ressusciter que greffés sur Jésus. Et cette résurrection n’attendra pas la fin des temps, contrairement à ce que croit Marthe : « Qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » précise Jésus à Marthe. Comme si la Résurrection, qu’il était en personne, avait déjà commencé.

    L’épisode de la résurrection de Lazare constitue d’ailleurs le septième signe de l’Évangile de Jean. On sait que le livre est bâti en deux parties (plus le Prologue). La première est appelée le « livre des signes » ; la seconde, relatant la Pâque de l’Agneau de Dieu, constitue le livre de la Gloire. Dans cette première partie, la résurrection de Lazare représente le septième signe (le premier est le miracle de Cana). Sept est le nombre de la perfection.

    En faisant de cet épisode le dernier signe avant la seconde partie de son évangile, Jean désire nous faire comprendre que ce signe prophétise la Pâque définitive. La résurrection de Lazare est le signe de celle de Jésus. Cependant celle-ci sera infiniment plus glorieuse. En effet, contrairement à son ami, Jésus ne mourra plus. Alors que Lazare reviendra à la vie biologique d’ici-bas, Jésus, le matin de Pâques, pénètrera dans la vie définitive du monde de Dieu. D’ailleurs la Pâque de Jésus est le huitième signe : le nombre huit est le chiffre de la résurrection et du monde à venir, le chiffre au-delà de la perfection, le chiffre de l’infinitude de Dieu.

    Ceux qui écoutent la voix du Fils de l’Homme...

    En sortant de son caveau, Lazare est déjà l’accomplissement d’une autre prophétie de Jésus énoncée au chapitre cinq du quatrième Évangile : « Elle vient l’heure où tous ceux  qui sont dans les tombeaux entendront sa voix (du Fils de l’Homme) et sortiront » (Jn 5, 28). Comme nous sommes loin, avec une telle déclaration, de l’eschatologie de Marthe, de sa résurrection reportée indéfiniment ! C’est dès maintenant que tous entendent la voix de Jésus ! C’est pour cela qu’on a pu parler, à propos du quatrième Évangile, d’une « déseschatologisation ». Comme si pour Jean, les derniers temps étaient déjà arrivés pour ceux qui entendent la voix de Jésus, et sortent de leur tombeau !

    Dans l’épisode de ce dernier signe de la première partie de l’Évangile, Jésus prend bien soin de se faire entendre par les personnes qui l’entourent sur le théâtre des événements. Jésus rappelle son ami à la vie en « criant d’une voix forte ». Ainsi le récit met en évidence que ses propos précédents au chapitre cinq ne sont pas seulement à comprendre « spirituellement », par « métaphore ». Entendre la voix du Fils de l’Homme passe au contraire par une écoute très concrète, par exemple en lisant les Écritures, ou en vivant les sacrements. Chez Jean, le spirituel et le charnel sont toujours entremêlés.

    Jésus cria d’une voix forte : « Lazare, viens ici ! Dehors ! ».

     * La résurrection de Lazare

    La résurrection de Lazare - Ciro Ferri

    Quand le cynisme de la raison d’Etat rencontre la prophétie...

    Malheureusement tout le monde n’écoute pas. Le septième signe va signer la mort de Jésus en décidant les pharisiens et les chefs des prêtres à hâter sa condamnation. Cette réaction vérifie une règle de la vie spirituelle : plus le signe donné par Dieu est fort, plus il suscite des jalousies chez ceux qui restent bouchés, fermés à son Amour.

    A cette occasion le Grand Prêtre prophétise malgré lui (toujours l’ironie johannique !) : « Vous n’y entendez rien ! Vous ne voyez pas qu’il vaut mieux qu’un seul meure pour le peuple et que la nation ne périsse tout entière ». Et Jean précise : « Il ne dit pas cela de lui-même, mais en qualité de grand prêtre il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation – et non seulement pour la nation, mais encore pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés ».

    Croyant faire le jeu de la raison d’Etat, avec son cynisme habituel, Caïphe donne en fait le sens de la mort de Jésus. Oui, il mourra bien pour la nation, mais   aussi pour l’unité de tous les hommes que le péché avaient dispersés !

    Telle est la conclusion du septième signe qui précède le dimanche des Rameaux, porte d’entrée de la Semaine Sainte. Un signe qui jette des lueurs lumineuses sur l’accomplissement de la vie de Jésus à Jérusalem.

    D’après l’analyse de Jean-Michel Castaing

    (Référence 6)

    Troisième réflexion : vie et mort, résurrection

     * La résurrection de Lazare

    La lecture que nous avons faite de cet extrait de l’Évangile de Jean traite en fait du thème de la vie. C'est là que Jésus dit « Je suis la vie ».

    1°) Résurrection de Lazare et résurrection du Christ.

    Pour introduire à l'intelligence de la résurrection du Christ, on l'oppose très souvent à la résurrection de Lazare, et cela très justement. En effet la résurrection de Lazare est un retour à la vie mortelle impliquant la nécessité de mourir à nouveau, de « remourir » s'il était permis de le dire, tandis que la résurrection du Christ est transformation et passage à une vie qui ne meurt plus. Très souvent nous-même avons eu occasion d'exploiter cette opposition qui reste, à certains égards, éclairante. Cependant, en faisant cela, on oppose la résurrection du Christ à notre idée banale de résurrection imaginée comme réanimation d'un cadavre, ou, à la rigueur, pensée théologiquement comme réunion du corps et de l'âme. Or le texte de Jean ne parle pas à partir de notre idée banale, et il faudrait voir comment la résurrection du Christ se témoigne dans la résurrection de Lazare. En d'autres termes, non contents de nous servir simplement de l'opposition pour les distinguer, il faudrait tenter de voir ce que positivement dit la résurrection de Lazare sur la résurrection du Christ.

    Lorsque Jésus guérit un aveugle, ce qu'il raconte, c'est la résurrection dans le grand sens du terme, alors, quand il parle de la résurrection de Lazare, pourquoi ne parlerait-il pas de la résurrection dans le grand sens du terme ? C'est de ce côté-là qu'il faut orienter notre recherche.

    2°) Mort propre et mort d'un proche.

    Une autre chose à prendre en compte dans notre lecture, c'est que, sous prétexte que Lazare dans cette affaire est totalement inerte et muet, en tout cas, silencieux, on peut considérer que ce qui fait l'intérêt du texte, c'est le travail de deuil qui s'opère à propos de la mort d'un autre. Autrement dit ce serait considérer que ce texte ne nous dit rien en vérité sur ce qu'il en est de sa propre mort, mais gère la question du deuil. Apparemment c'est cela qui prend beaucoup de place : Jésus, les disciples, les deux sœurs (Marthe d'abord, puis Marie), un certain nombre de Judéens, tout cela s'agite et parle autour de Lazare ! Or je pense que ce texte doit nous dire quelque chose sur la propre mort. Il faudra que nous essayions d'accéder à cela.

    3°) Les deux sens du mot de « mort » dans l'Évangile.

    Je voudrais aussi dire quelque chose de préalable sur l'emploi du mot de mort dans lÉvangile de Jean, mais c'est vrai aussi chez saint Paul. Le mot de vie (zoê), qu'il soit accolé avec l'épithète que nous traduisons par « éternel », ou qu'il ne le soit pas, qu'il soit un substantif sujet ou un substantif génitif (par exemple « le pain de la vie »), qu'il soit un verbe (« Ton fils vit »), ce terme de vie ne dit toujours qu'une seule chose, la vie éternelle, alors qu'en revanche le mot de mort est équivoque, car il dit deux choses totalement différentes :

    – On a retenu à partir de lectures de Paul, que la mort dit la même chose que le péché, qu'être mortel et être meurtrier se pensent comme appartenant à la même région. Il y aurait beaucoup de choses à dire là-dessus car c'est assez éloigné de notre façon de parler de la mort. Cependant il ne faudrait pas penser que la mort est la punition du péché, ce n'est pas du tout cela. Ce que je dis c'est que ce sont deux noms de la même réalité.

    – Et par ailleurs, nous avons très souvent dit que la mort du Christ et sa résurrection c'est la même chose. Ce ne sont pas deux épisodes successifs qui seraient liés, mais c'est la même chose. Je considère cela comme une chose acquise, sur laquelle on pourrait revenir un jour.

    Nous avons deux sens du mot de mort : dans un cas la mort c'est le péché, et dans l'autre cas la mort c'est la vie de résurrection. Et il faut bien voir que l'opposition n'est pas entre la vie et la mort, mais entre la vie mortelle et la mort vivifiante. La mort vivifiante est un des tout premiers mots qui se trouvent dans le cœur du Credo : « est mort pour nos péchés (donc pour la vie). » En revanche, ce qui est couramment appelé la mort dans l'Évangile, c'est très souvent ce que nous appelons, nous, la vie.

    Ainsi quand saint Jean dit : « Nous avons été transférés de la mort à la vie » (1 Jn 3, 14), mort et vie supposent quatre termes : il y a « cette vie » dans laquelle nous sommes nativement, et il y a « la Vie qui vient », dans laquelle nous commençons à être transférés, elle correspond à un espace de vie. Dans « cette vie », il y a ce que nous appelons la vie et la mort, mais c'est l'ensemble qui est appelé ici « la mort » : ce que nous appelons « la vie » au sens usuel du terme, c'est ce que saint Jean appelle ici « la mort ». En revanche « la mort christique », c'est la Vie. Autrement dit il y a comme quatre termes : la mort en notre sens et la vie en notre sens ; la mort christique et la vie de résurrection.

    4°) La mort en philosophie.

    Une autre chose préparatoire est alimentée par le souci d'entendre le champ des réflexions humaines sur la mort, et particulièrement dans le champ philosophique, les réflexions portent sur la mort et le temps, deux choses qui sont étroitement liées, mais mon but n'est cependant pas de faire un cours sur l'être-pour-la-mort. Même notre saint Père pense qu'il est bon que la foi rencontre quelque part la philosophie, ce n'est peut-être pas celle que nous envisageons, mais c'est totalement vrai à la mesure où la foi tombe dans quelqu'un qui est préformé culturellement par son appartenance à une tradition. Pour nous il s'agit de la tradition occidentale, et dans celle-ci, ce qu'il y a de plus aigu dans le domaine de la pensée et de la réflexion, s'est nommé philosophie. Il est donc intéressant, spécialement pour une question comme celle-là, de ne pas s'en tenir à l'usage banal du mot de mort, qui est souvent un usage usé quand il s'agit de la mort et quand il s'agit du temps. Je vais simplement vous donner quelques petites choses qui peuvent être utiles.

    L'homme meurt, il est remarquable que, pour dire les humains, certains disent « les mortels ». La mort est donc bien d'une certaine façon propre à l'être-homme. Et il serait intéressant de méditer ce que veut dire une expression comme celle-ci : « L'animal périt et l'homme meurt ».

    Ce que désigne la mort dans l'homme n'est peut-être pas bien perçu de façon essentielle par le spectacle d'un autre qui est en train de dépérir. En effet le spectacle que nous avons de la mort, c'est celui d'un dépérissement, et même rapidement, ensuite, d'une corruption, d'une dissolution. Nous verrons dans le texte de la résurrection de Lazare que le thème de la corruption est un thème très important – et il l'est aussi dans le Nouveau Testament –, mais ce n'est pas cela que j'envisage en ce moment, et ce n'est peut-être pas cela la mort. Il se pourrait bien que la mort ne soit pas l'événement ponctuel que nous pensons. Bien sûr, c'est un événement ponctuel pour ce qui concerne la mort d'autrui, mais qu'en est-il pour nous-même ? Est-ce que la mort n'est pas toujours un élément constitutif de l'homme ? De la ponctualiser et de la reculer, est-ce que ce n'est pas une façon, et pas forcément une très bonne façon, de prétendre à l'exorciser ? La reculer, ça se fait spontanément. Et en plus, aujourd'hui, non seulement on la recule, mais même on la recouvre, ce qui fait que, d'une certaine façon il n'en est plus question. Or au contraire, la question la plus essentielle n'est-elle pas la question de la mort pour maintenant ? En effet la mort est quelque chose à venir, c'est-à-dire qu'elle est la dimension à venir ou avenante. Notre être est aussi constitué par un venir, et pour les Grecs, ta erkhoména, les choses qui viennent, c'est ce que nous appelons le futur.

    Nous avons dit souvent à propos du Christ que les verbes « être » et « venir » disaient la même chose. Je ne veux pas m'avancer plus là-dessus pour l'instant, mais cela signifierait que notre mode usuel d'être au temps n'est pas pertinent pour penser et pour imaginer ce qu'il en est de la mort propre. Peut-être que, acquiescer maintenant à la mort, c'est mourir de la véritable façon.

    La mort marque ma finitude, c'est-à-dire que je suis, comme homme, non pas une chose ou un objet clos, mais je suis ouvert à, je suis une sorte d'apparemment indéfinie possibilité. Or elle n'est pas indéfinie cette possibilité puisqu'elle est vouée à une fin : j'ai à mourir. Mais que veut dire la fin ? Nous employons ce mot dans des sens très différents : nous disons que la semaine est finie quand elle n'est plus là, mais nous disons aussi que quelque chose est fini quand c'est totalement accompli. Le mot fini est donc à la fois un mot de plénitude et un mot d'expulsion. De quoi parlons-nous quand il s'agit de la mort ? D'une certaine manière la mort me rend fini.

    D'autre part la mort a d'autres traits intéressants. La mort est certaine mais indéterminée : je ne sais pas quand. Autrement dit, pour moi elle n'est pas datable. Et même pour l'Évangile, ce qui n'est pas un hasard, « Personne ne sait quand viendra ce jour où cette heure (l'heure où le Fils de l'homme paraîtra), pas même les anges dans les cieux, ni même le Fils ; le Père seul le sait » (Mc 13,32). C'est une phrase très étrange. Il est probablement de l'essence même de cela de ne pas être datable pour moi. Bien sûr les dictionnaires datent la mort des grands hommes. S'agit-il de la même chose ?

    Et dernier point, la mort a pour caractéristique de constituer mon propre. En effet nous pouvons la plupart du temps faire des choses ensemble, ou les uns avec les autres, ou les uns pour les autres, mais on meurt seul. Que signifie cette « solité » ? Il ne faut pas dire « cette solitude » parce que ce mot a une autre connotation qui n'est pas excellente. Et que peut bien signifier cela que le Christ meurt pour nous ?

    Voici un certain nombre de suggestions qui nous invitent à être réticents, prudents, devant les repères que nous croyons avoir pour parler de la mort. Et nous savons, en tout cas, que notre mode d'être au temps est inapte à dire le « temps » de la mort, et là, je ne dis pas le « moment ». Je veux dire par là que le rapport de la mort à la temporalité, et donc ce que veut dire le mot aïônios (éternel), ne peut être d'emblée élucidé, puisque nous pensons l'éternité comme a-temporalité. Or pour penser la non-temporalité, il faudrait déjà avoir pensé ce qu'il en est de la temporalité, ce que nous sommes loin d'avoir fait.

    Je crois que j'ai dit de façon assez simple des choses qui, techniquement regardées, sont très complexes. Nous sommes, par-là, alertés à entendre dans l'évangile des choses auxquelles nous n'aurions peut-être pas prêté suffisamment attention.

    Jean-Marie Martin, prêtre, théologien et philosophe

    (Référence 7)

    Quatrième réflexion

     * La résurrection de Lazare

    Jacopo Robusti, dit " Le Tintoret " - 1518–1594 – La Résurrection de Lazare

    Le récit de la résurrection de Lazare doit être envisagé d’un double point de vue : en tant que tel, comme un exemple de récit de miracle ; d’un point de vue plus large, selon la place qu’il occupe dans l’Évangile de Jean. Les récits de miracles ont en effet un sens et une valeur propre, qui autorise à les lire seuls. Mais c’est seulement dans le grand contexte du livre évangélique tout entier qu’ils prennent tout leur sens.

    (Référence 8)

    Cinquième réflexion

     * La résurrection de Lazare

    Nous avons pris l’habitude d’appeler ce passage « la résurrection de Lazare », mais, soyons francs, ce n’est pas le terme qui convient ! Quand nous proclamons  « Je crois à la résurrection des morts et à la vie éternelle », il s’agit de bien autre chose. 

    La mort de Lazare n’a été qu’une parenthèse en quelque sorte dans sa vie terrestre. Sa vie après le miracle de Jésus a repris son cours ordinaire, et elle a dû être à peu de choses près la même après qu’auparavant. Lazare a eu seulement en quelque sorte un supplément de vie terrestre. Son corps n’était pas transformé et il a dû mourir une seconde fois. Sa première mort n’a pas été ce qu’elle sera pour nous, c’est-à-dire le passage vers la vraie vie.

    Mais alors, du coup, on peut se demander à quoi bon ? En faisant ce miracle, Jésus a pris de grands risques pour lui-même parce qu’il ne s’était déjà que trop fait remarquer... et quant à Lazare cela n’a fait que reculer l’échéance définitive.

    C’est saint Jean qui répond à notre question « à quoi bon ce miracle ? ». Il nous dit c’est un  signe très important : Jésus est manifesté là comme celui en qui nous avons la vie sans fin et en qui nous pouvons croire, c’est-à-dire sur qui nous pouvons miser notre vie.

    Et d’ailleurs, les grands prêtres et les Pharisiens ne s’y sont pas trompés : ils ont fort bien compris la gravité du signe que Jésus avait donné là : d’après saint Jean, toujours, trop de gens se mirent à croire en Jésus à la suite de la résurrection de Lazare, et c’est là qu’ils décidèrent de le faire mourir.

    Saint Jean nous dit qu’à la suite de ce miracle, beaucoup de Juifs se mirent à croire en Jésus. Et d’après saint Jean, toujours, c’est à ce moment-là que les grands prêtres et les Pharisiens décidèrent d’éliminer Jésus.

    C’est donc ce miracle qui a signé l’arrêt de mort de Jésus. Évidemment, quand on y réfléchit deux mille ans plus tard, on se dit que c’est un comble : être capable de rendre la vie, cela méritait la mort. Triste exemple des aberrations où nous mènent parfois nos certitudes...

    Revenons au récit de ce que je vous propose d’appeler le « réveil de Lazare » car il ne s’agit pas d’une véritable résurrection comme celle de Jésus, il s’agit plutôt d’un supplément de vie terrestre. Je ferai seulement deux remarques :

    Première remarque : pour Jésus, la seule chose qui compte, c’est la gloire de Dieu. Mais pour voir la gloire de Dieu, il faut croire (« Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » dit-il à Marthe). Dès le début du récit, alors qu’on vient d’annoncer à Jésus « Seigneur, celui que tu aimes est malade », il dit à ses disciples : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu », c’est-à-dire la révélation du mystère de Dieu. Non pas que la manifestation de la gloire de Dieu soit une récompense pour bien-pensants ou bien-croyants. Mais quand nous ne sommes pas dans une attitude de foi, tout se passe comme si nous laissions notre regard s’obscurcir par le soupçon, la méfiance, c’est comme si nous mettions des lunettes sombres, nous ne voyons plus la lumière. La foi nous ouvre les yeux, elle fait sauter ce bandeau de la méfiance que nous avions mis sur nos yeux.

    Deuxième remarque : la foi en la résurrection franchit là sa dernière étape.

    La foi en la résurrection est apparue très tardivement en Israël. Elle n’est affirmée très clairement qu’au deuxième siècle av. J.-C. à l’occasion de la terrible persécution du roi grec Antiochus Épiphane. Et à l’époque du Christ, elle n’est même pas encore admise par tout le monde.

    Marthe et Marie, visiblement, font partie des gens qui y croient. Mais, dans leur idée, il s’agit encore d’une résurrection pour le dernier jour. Quand Jésus dit à Marthe « Ton frère ressuscitera », Marthe répond : « Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection ». Jésus rectifie : il ne parle pas au futur, il parle au présent : « Moi, je suis la résurrection et la vie... Tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais... Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ». À l’entendre, on a bien l’impression que la Résurrection, c’est pour tout de suite. « Je suis la résurrection et la vie » : cela veut dire que la mort au sens de séparation de Dieu n’existe plus, elle est vaincue dans la Résurrection du Christ. Avec Paul les croyants peuvent dire « Mort, où est ta victoire ? » Non, rien désormais ne nous séparera de l’amour du Christ, même pas la mort.

    Commentaire de Marie Noëlle Thabut

    (Référence 9)

    Sixième réflexion

     * La résurrection de Lazare

    La résurrection de Lazare - Giotto di Bondone - 1306

    Le récit de Lazare est-il un récit de miracle atypique ?

    Les récits de miracles ne sont pas une spécificité du Nouveau Testament ou même de la Bible. Il s’agit d’un héritage partagé avec l’Antiquité, grecque ou romaine. Les spécialistes s’accordent à leur reconnaître des traits communs, une structure narrative semblable qui est la suivante :

    • une présentation rapide de la situation, destinée à préparer ce qui va suivre ;
    • une demande, pouvant revêtir des formes différentes ;
    • une parole et/ou un geste ;
    • la guérison ;
    • les réactions de la personne ou de la foule présente.

    L’épisode de la résurrection de Lazare semble suivre ces cinq étapes traditionnelles : le récit début par l’annonce de la maladie de Lazare, qui s’avère bientôt incurable, puisque Lazare meurt (11, 1-16). Suivent alors les demandes successives des sœurs de Lazare, Marthe et Marie qui incitent indirectement Jésus à faire revivre leur frère – « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! » (17- 32). Jésus se dirige alors vers le tombeau, demande à ce qu’on ôte la pierre qui le ferme et, d’une parole, appelle Lazare : « Lazare, viens dehors ! » (33-43). Le mort se lève alors, guéri. (44). Le récit s’achève par la réaction des témoins, lesquels tantôt se convertissent, tantôt dénoncent le miracle aux pharisiens qui vont décider de la mort de Jésus. (45-46).

    Cependant, aux yeux de certains spécialistes, ce récit de miracle est « apparu très vite comme un récit de miracle atypique » par son ampleur exceptionnelle dans les Évangiles et par le nombre de figures qu’il mobilise. Ces spécialistes imaginent donc qu’il y a pu avoir un premier récit, plus conforme à la structure narrative traditionnelle des récits de miracles tels qu’ils se présentent habituellement dans les Évangiles synoptiques (Mathieu, Marc et Luc). Le texte actuel aurait donc subi de nombreux ajouts, faisant intervenir les disciples, les Juifs et Marthe.

    Le récit de Lazare dans l’économie de l’Évangile de Jean.

    Cette hypothèse d’un récit modifié, augmenté n’est pas nécessaire, selon le point de vue d’Alain Marchadour et d’autres spécialistes qui opèrent une lecture narrative et littéraire du Nouveau Testament. Selon ce point de vue narratif, le récit, pour prendre tout son sens, doit être replacé dans l’économie de l’Évangile johannique tout entier. Il importe donc de « non plus se focaliser sur la production du texte et de sa genèse, mais (d’)accepter d’entrer dans une œuvre pour en percevoir la logique, la dynamique, la fonction ».

    Dès lors, l’épisode lazaréen apparaît à de nombreux commentateurs comme un moment clé du livre johannique : centre du livre, disent certains, moment charnière entre la première partie de l’Évangile (l’évangile des signes, constitué des 12 premiers chapitres) et la seconde (l’évangile de la gloire, où l’on assiste au dernier repas de Jésus avec les disciples puis à sa mort et sa résurrection).

    Moment décisif dans l’économie évangélique, le récit lazaréen marque aussi un moment clé dans l’histoire de Jésus : « à la fois dans la révélation de son être divin et humain et dans la réception de cette révélation, positive chez les uns, négative chez les autres, au point d’être cause directe de sa mise à mort ». C’est à partir de cet épisode en effet que « Grands prêtres et pharisiens résolurent de le tuer » (11, 53). Et Alain Marchadour d’ajouter : « faire comme si ce chapitre se suffisait à lui-même, et oublier qu’il prend sens par rapport à la révélation progressive de Jésus, c’est rompre avec le pacte de lecture de l’évangéliste, faire violence au sens du texte ».

    Un récit paroxystique centré sur la figure de Jésus.

    C’est qu’il existe une différence essentielle entre les récits de miracles tels que les connaissent l’Antiquité grecque et romaine et tels que les présentent les Évangiles : plus que le miracle lui-même, ce qui importe ici, c’est la rencontre avec la figure centrale de Jésus.

    Le récit lazaréen apparaît, à plus d’un titre, comme un épisode paroxystique au sein de l’Évangile de Jean, un véritable climax : « septième et dernier signe du Révélateur cherchant à se faire reconnaître », selon Alain Marchadour, après les deux signes donnés à Cana, la guérison de Béthesda, la multiplication des pains, la marche sur les eaux, la guérison de l’aveugle-né, le récit fait de Jésus l’interlocuteur successif de tous les personnages en présence, les disciples, Marthe et Marie et les Juifs qui doivent prendre position face à lui. L’enjeu est de taille : il s’agit, pour le texte, d’affirmer, à travers le regard de ces interlocuteurs, la nature divine de Jésus. Il est « Seigneur » sous la plume du narrateur (v.2) ainsi que dans le discours des deux femmes (v.3), de Marthe (v. 21), de Marie (v.32), des témoins (v. 34). Il est « Rabbi », Maître, dans la bouche des disciples (v.8), et « Christ, Fils de Dieu », dans le dialogue avec Marthe (v.27). L’exceptionnelle envergure du récit, en comparaison d’autres récits de miracle, est donc la marque volontaire d’un auteur johannique occupé à donner à sa narration une amplitude maximale.

    L’intensité dramatique du récit est une autre marque de cette puissance narrative. Cette intensité est accentuée par le fait que Jésus se trouve ici en présence de personnages avec lesquels il entretient un rapport étroit d’amitié ou d’amour : « Voyez comme il l’aimait ! », telle est la parole de quelques témoins, lorsque Jésus se trouve face au tombeau de Lazare. La puissance dramatique d’un récit n’est en effet pas la même, si le protagoniste se trouve en présence d’un aveugle anonyme à qui l’on a rendu la vue, ou bien d’un homme identifié par le lecteur comme un proche de Jésus. Cette proximité, qu’on le veuille ou non, crée un effet d’attente et porte l’intérêt vers la résolution du récit, la résurrection espérée. Cet effet d’attente se trouve renforcé, au début du récit, par le fait que Jésus tarde deux jours avant de se rendre auprès de Lazare. De plus, les disciples lui font remarquer que retourner en Judée est très risqué car on cherche à lapider le maître.

    Une christologie narrative.

    Climax encore, dès lors que Jésus, pour la première et dernière fois dans les Évangiles, se présente au lecteur comme un homme en pleurs : face à son ami Lazare mort, « Jésus verse des larmes ». Cette simple remarque est loin d’être anodine : Jésus pleurant, c’est Jésus homme, incarné. Extrêmement efficace sur le plan narratif, puisqu’elle renforce le suspense du récit, cette mention est essentielle sur le plan théologique. C’est à partir d’elle qu’Alain Marchadour peut parler, pour cet épisode lazaréen, de « christologie narrative » : c’est à partir de la narration, dans la narration que l’auteur du récit cherche à représenter Jésus comme homme intégral, homme de chair, au même titre que tous les autres, mais aussi Dieu intégral, Christ.

    Un récit qui fait de Jésus la seule figure qui domine la scène.

    L’autre versant de cette humanité, c’est en effet la divinité de Jésus que le récit cherche à mettre en évidence. Le protagoniste se présente alors à la lecture comme la seule figure qui domine la scène. Dès le verset 4, il interprète les événements à venir : « Cette maladie ne mène pas à la mort » et les anticipe : « Notre ami Lazare s’est endormi, je vais le réveiller » (v. 11). « Il sait que Lazare malade va mourir puis revenir à la vie (v.12-13) ». Évidemment, enfin, il possède le pouvoir de rendre la vie à un homme mort depuis quatre jours et qui « sent » déjà (v. 39).

    Le récit de la résurrection de Lazare n’est donc pas un récit de miracle parmi d’autres : il cherche à présenter l’humanité et la divinité de Jésus à leur sommet.

    (Référence 10)

    Synthèse de recherches mise en page par le Frère André B., G.C.P. de Belgique

    Références :

    1. https://www.universdelabible.net/lire-la-segond-21-en-ligne/jean/11.1-57/
    2. Bernadette Escaffre, « Autour des récits bibliques » p. 38-41 SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 127 (mars 2004)
    3. https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/581.html
    4. https://www.eretoile.org/Archives-Reflexions/la-resurrection-de-lazare-jean-11.html
    5. http://www.interbible.org/interBible/source/lampe/2004/lampe_040402.htm
    6. http://cahierslibres.fr/2014/04/resurrection-lazare/
    7. http://www.lachristite.eu/archives/2014/03/31/29561423.html
    8. http://crdp.ac-paris.fr/parcours/fondateurs/index.php/category/lazare?paged=3
    9. http://thierry.jallas.over-blog.com/2017/03/commentaires-de-marie-noelle-thabut-annee-liturgique-a-5e-dimanche-de-careme-2-avril-2017.htm
    10. http://crdp.ac-paris.fr/parcours/fondateurs/index.php/category/lazare?paged=

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