• * La dernière Cène - Léonard de Vinci

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    Rubrique « Parchemins à découvrir »

      La symbolique de la « Dernière Cène »  

    de Léonard de Vinci

     * La dernière Cène - Léonard de Vinci

    La Cène après restauration en 1999

    1. Le thème de l’œuvre

    Cette œuvre très célèbre est la fresque la plus importante de Léonard de Vinci.

    Par sa taille, tout d’abord : elle mesure 460 x 880 cm.

    Par la dramaturgie de son thème, ensuite : elle représente le moment où Jésus annonce aux apôtres la trahison de Judas au cours de son dernier repas, avant son arrestation et sa crucifixion.

    En raison de techniques d’application inappropriées, l’œuvre s’est très rapidement dégradée et a sérieusement subi les outrages du temps. Elle a été rénovée à plusieurs reprises, la dernière fois en 1999.

    Différentes opinions s'affrontent parmi les historiens de l'art au sujet de l'épisode des évangiles décrit par cette œuvre, sans qu'aucune d'elles ne soit véritablement convaincante. Certains considèrent qu'il s'agit du moment où Jésus annonce la présence d'un traître parmi les apôtres, ceux-ci faisant alors part de leur étonnement. D'autres pensent que cet épisode représente la célébration de l'Eucharistie par Jésus, celui-ci désignant le pain et le vin de ses mains.

    Je penche personnellement pour une interprétation qui entrelace les deux événements, c’est à dire l'annonce de la présence du traître et le moment de l'Eucharistie. En effet, les réactions des apôtres sont bien celles qui succèdent à l'annonce de la présence d'un traître, alors que l'événement principal est bien celui de l'Eucharistie.

     * La dernière Cène - Léonard de Vinci

    2. Analyse picturale

    Avant d’aborder la question de la symbolique de l’œuvre, procédons tout d’abord à son analyse picturale.

    Première remarque : lorsque nous observons les personnages un à un, il apparaît clairement que le peintre a « joué » avec leurs postures, leurs gestes et les mouvements des mains et des bras. Il a également apporté un soin particulier à leur regard, à la position de leur tête et de leur corps. Tous ces détails ont fait l’objet d’une attention très poussée de la part du peintre, ce qui lui a permis de mettre en évidence le drame personnel vécu par chacun des apôtres. La force de cette œuvre tient dans le fait que deux concepts y sont représentés :

    - la symbolique personnelle, incarnée de façon puissante par chacun des personnages.

    - un niveau élevé de pensée religieuse.

    Avant d’entrer dans les détails du tableau, commençons par l’examiner dans sa totalité, en prenant du recul, comme dans un musée.

    Cette position nous permet d’observer que le sommet de la tête des personnages reproduit une sorte de ligne ondulatoire qui coupe le tableau en deux parties ; cette ondulation se situe au-dessus de la ligne parfaitement rectiligne de la table. Si l’on trace une ligne d’horizon, on se rend compte que toutes les têtes des apôtres y trouvent place, approximativement à la même hauteur.

    Dans son ensemble, la Dernière Cène décrit les mouvements d’étonnement et d’horreur des apôtres. L’atmosphère est tendue, la tension se lit sur le visage et dans les yeux des personnages.

    Par ailleurs, la perspective linéaire du tableau est minutieusement calculée. Les poutres du plafond sont parallèles aux parois latérales ; les lignes supérieures des angles rentrants de ces mêmes parois convergent vers le visage du Christ.

    La perspective employée par Léonard De Vinci pour représenter cette scène a une fonction : prolonger la salle réelle du réfectoire par différents trompe l’œil reprenant son architecture (le plafond à caissons, les ouvertures à l’arrière-plan et les murs latéraux recouverts de tapisseries et percés de portes). C’est l’une des utilisations classiques de la perspective à l’époque de la Renaissance : transformer la fresque en une véritable ouverture, comparable à une fenêtre.

    3. Analyse psychologique

    Pénétrons progressivement dans la scénographie du tableau de manière à mieux en apprécier la dramaturgie.

    Nous remarquons que certains apôtres se lèvent, d’autres s’approchent de Jésus. Le tableau nous fait vivre l’instant le plus déroutant et le plus angoissant qui soit. Jésus, assis à table, vient à peine de proférer l’annonce qui glace le sang dans les veines de ses commensaux : « Je vous le dis en vérité, l’un de vous me trahira ».

    Ses paroles résonnent aux oreilles des apôtres comme un coup de tonnerre. Elles expliquent l’excitation qui s’est emparée d’eux et qui se lit dans leurs yeux. Certains d’entre eux ont bondi sur leur siège comme des ressorts. Les disciples se regardent les uns les autres, l’œil incrédule et teinté de soupçon, ne sachant de qui parle Jésus.

    Quatrième personnage à partir de la droite, Judas est le mieux personnifié par Léonard :

    - Il n'est pas, comme d'habitude, placé au centre de la composition de l'autre côté de la table mais parmi la rangée des disciples.

    - Il est identifié de différentes manières, comme sa façon d'atteindre le pain, sa bourse contenant trente pièces d’argent, récompense de sa traîtrise et également par le fait qu'il renverse la salière, signe de malheur.

    - Son isolement du groupe : Judas est le seul personnage dont le corps est penché vers la table, se cachant presque dans le dos de Jésus.

    - Il fait un mouvement de recul, l’air déconcerté par le fait que le Christ connaît déjà son plan et qu’il en a parlé devant tout le groupe.

    - Il tient une bourse contenant les 30 pièces d’argent qui lui ont été données pour trahir Jésus.

    - Détail très significatif : son visage n’est pas tourné vers le Christ ; il est impossible de repérer chez lui une expression ou un geste qui le trahirait.

    - Judas est anodin, quelconque et sans personnalité, à l’inverse des autres apôtres dont les visages sont expressifs.

    En résumé, l’œuvre de Léonard de Vinci décrit surtout un moment de tension entre les disciples et leur maître. Celle-ci culmine au moment où Jésus annonce la trahison imminente de Judas. Quand il prononce les mots fatidiques « Je vous le dis en vérité, l’un de vous me trahira », il garde le visage impassible face à la trahison prochaine et il accepte son sort.

    4. Analyse des symboles

    Léonard de Vinci utilise de nombreuses références symboliques dans sa peinture.

    4.1. Première référence symbolique.

    Sur le plan religieux, cette œuvre constitue vraisemblablement un des passages le plus importants de la bible : l’eucharistie, sacrement culminant du christianisme. A ce niveau, sa portée symbolique est remarquable : la remise du corps de Jésus-Christ à ses fidèles à travers une cérémonie évoquant leur dernière réunion.

    Le peintre a capté ce moment magique entre le Christ et ses apôtres. Indépendamment du thème de la trahison, la symbolique mystique qui plane sur le tableau en est un de ses aspects les plus essentiels.

    4.2. Deuxième référence symbolique.

    La Cène fut peinte dans le couvent des Dominicains de Sainte Marie delle Grazie, couvent qui se trouve à Milan. Ce couvent fut choisi en tant qu’église de la cour et Léonard fut engagé pour la décoration du réfectoire, salle à manger du monastère. La Cène occupe toute la paroi transversale du réfectoire, de sorte que le tableau apparaît comme le prolongement en perspective de la salle authentique.

    Par cette disposition, Léonard accomplit et perfectionne une tradition : peindre dans le réfectoire de ce monastère un repas pris par Jésus dans un autre réfectoire.

    C’est ainsi que Jésus mange avec ses apôtres à l’endroit même où le prieur mange avec les moines de son monastère.

    4.3. Troisième référence symbolique : le nombre Trois.

    Dans le christianisme, le Trois représente symboliquement la Trinité : Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit. Comment Léonard a-t-il représenté ce nombre ?

    -  Dans le tableau, on observe que les disciples sont disposés par groupe de trois, avec Jésus en figure centrale.

    -  Ce dernier se tient assis en tenant les deux bras écartés ; si l’on trace une ligne joignant le sommet de sa tête et le bout de ses mains, on obtient un triangle équilatéral quasi parfait.

    -  Derrière Jésus apparaissent trois fenêtres qui laissent passer la lumière, alors que les autres murs sont couverts de tapisseries.

    4.4. Quatrième référence symbolique : le nombre Quatre.

    Dans le Nouveau Testament, il y a quatre Évangiles ; dans le tableau on observe quatre groupes de disciples.

    4.5. Cinquième référence symbolique : la lumière.

    En arrière-plan de la fresque se profilent trois fenêtres, seules sources de lumière naturelle. Symboliquement, la lumière contient la Révélation car dans la lumière est un Dieu miséricordieux et bon. Elle est l’opposé des ténèbres. A noter qu’aux premiers siècles de l’Église, le baptême s’appelait l’Illumination.

     * La dernière Cène - Léonard de Vinci

    4.6. Sixième référence symbolique : la perspective.

    L’organisation esthétique de la fresque permet à Léonard d’utiliser la perspective comme symbolique à part entière :

    • Tous les personnages sont à la même hauteur que Jésus pour rappeler son caractère humain.
    • Son aura divine rayonne à travers les lignes de fuites qui vont à la fois vers lui mais aussi semblent partir de lui, illuminant la pièce et les esprits qui l’entourent, rappelant ainsi les théories de Léonard sur l’acoustique et sur « la propagation des ondes sonores qui atteignent et touchent » chacun des apôtres.
    • C’est la parole de Jésus qui se propage, et avec elle la lumière des trois fenêtres situées derrière lui, laissant apercevoir le monde qu’a créé son père.

    Léonard choisit d’illustrer la parole suivante : « Je vous le dis en vérité, l’un de vous me trahira », ainsi que les réactions qu’elle provoque auprès de chacun des apôtres. En effet, le peintre recommandait de peindre les figures de telle sorte que le spectateur lise facilement leurs pensées au travers de leurs mouvements. C’est ce qu’il nommait les « mouvements de l’âme ». La perspective n’est donc pas seulement une simple technique de dessin, codifiée et popularisée à la Renaissance italienne. Elle permet de raconter et de guider le spectateur à travers la scène et ses symboles.

    4.7. Septième référence symbolique : le personnage de Judas.

    La motivation première de la trahison de Judas est l’argent. On le reconnaît parce qu’il tient une bourse dans sa main. Judas est ainsi l’emblème de la vénalité et du mercantilisme. Mais l’Église insiste sur le fait que Judas n’est pas maudit de naissance. Il était libre de ses actes comme nous tous.

    4.8. Huitième référence symbolique : l’astrologie.

    Avec une étonnante maîtrise, Léonard fait correspondre chacun des douze apôtres avec les douze signes zodiacaux. L’auteur connaissait parfaitement l’influence que les étoiles exercent sur l’homme, ce qui le conduit à concevoir des apôtres pleins de vie, non pas par hasard mais mathématiquement, en relation avec les forces de l’univers.

    Pour ceux que cela intéresse, une étude astrologique complète des douze apôtres est consultable sur le site :

    « gnosticpublishing.org : les Secrets de la Dernière Cène ».

    5. Conclusion

    J’espère avoir pu partager avec vous l’idée que, dans cette fresque, tout est symbole.

    En guise d’ultime conclusion – provisoire, comme il se doit – je terminerai en évoquant le visage du Christ. Tout le tableau est bâti autour de son visage.

     * La dernière Cène - Léonard de Vinci

    Il est le point de fuite central vers lequel convergent toutes les lignes de force.

    En ce visage, apparaît, se manifeste, se réalise la convergence de l’humain, proche, terrestre, et du lointain, céleste, divin, suggéré par le paysage sans fond encadré par les trois baies.

    Frère Écuyer Freddy D. – Commanderie de St-Léger – Le 19 novembre 2021


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